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Agriculture Urbaine, Rapports Sociaux Et Citoyenneté:

le cas du jardinage biologique communautaire au Québec et au Mexique

(rapport de recherche)


par Manon Boulianne
Manon.Boulianne@ant.ulaval.ca
octobre 1999
Chercheure associée
Chaire de recherche en développement communautaire
Université du Québec à Hull
(Presently working as a Professor in the Department of Anthropology, University of Laval, 2002)



Résumé

Ce cahier est conçu comme un rapport de recherche. Il rend compte des travaux réalisés par l'auteure alors qu'elle effectuait un stage post-doctoral au sein du CRISES. Entre avril 1998 et mars 1999, elle a bénéficié d'une bourse du CRDI pour mener une étude dans le domaine de l'agriculture urbaine. Cette bourse lui a permis de réaliser une recherche sur le terrain au Mexique et au Québec.

Dans ces deux pays, comme c'est aussi le cas ailleurs, on assiste à la résurgence de l'agriculture vivrière en milieu urbain, sous des formes parfois novatrices. Une partie des expériences en cours s'inscrit dans une dynamique communautaire. C'est sur elles qu'a porté la recherche. Souvent issues de mouvements sociaux, ces expériences peuvent être assimilées à des initiatives de l'économie sociale.

On trouvera dans ce cahier une description analytique détaillée de quatre initiatives de jardins québécois et mexicains. Elle permet de saisir l'originalité de chaque projet tout en dégageant des pistes de réflexion en regard de leur apport potentiel au changement social. Cette description est suivie d'une discussion articulée autour de la notion de citoyenneté. Y sont identifiés les éléments qui distinguent les projets porteurs de rapports sociaux plus équitables et solidaires de ceux qui contribuent à réifier les inégalités sociales au Nord comme au Sud.

Abstract

This paper shows the results of research that was carried out between April 1998 and March 1999 in cooperation with CRISES (CRISES is a French acronym that translates : Research Centre on Social Innovations in the Social Economy, Firms and Unions). A fellowship in urban agriculture from the IDRC enabled the author to conduct fieldwork in Mexico and Quebec.

As is the case in other regions in the North and the South, subsistence agriculture in urban settings is regaining importance. It often takes place under collectives or other innovative associations, which can be considered part of the "social economy" or "Third sector". As such, community garden initiatives are usually linked with social movements that strive for democracy, environmental awareness, social justice, personal empowerment, food security and gender equality.

This paper contains an analytical description of four community garden initiatives from the areas studied. Two of the gardens are intended mainly to provide food security while the other two were created to promote local social development. In addition to emphasizing the originality of the projects under scrutiny, this paper evaluates their potential for social change. The description is followed by a discussion on gardens and citizenship. The author identifies the salient features of garden projects that promote social justice, and active citizenship, distinguishing them from models that lead to new forms of social assistance and dependence for the poor.

Table Des Matières

1. Introduction

1. 1 La problématique de recherche

1.2 La recherche terrain

2. Sécurité alimentaire et jardinage biologique

2.1 Le Héron : un jardin pour les cuisines collectives

2.2 Des jardinets domestiques pour manger santé : l'intervention de l'ONG Luna Nueva à Tepoztlán

3. Jardinage et développement social local

3.1 Le jardin le Tourne-Sol : espace de récréation, de production et d'échange

3.2 L'écologie sociale à Miravalle

4. Discussion

Conclusion

Références citées

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Annexe 1 Jardins communautaires, formes de sociabilité et citoyenneté : grille analytique

Annexe 2 Schéma d'entrevue pour les bénévoles de la Bouffe du Carrefour 79

Annexe 3 Schéma d'entrevue pour les participants du projet de Luna Nueva, Tepoztlan

Annexe 4 Schéma d'entrevue pour les participants au groupe d'écologie sociale de Miravalle, Ixtapalapa

Annexe 5 Schéma d'entrevue pour les membres du jardin le Tourne-Sol, Québec

Footnotes are not available in this web edition.

1. Introduction

1. 1 La problématique de recherche

Le concept d'agriculture urbaine, dans sa définition la plus large, englobe une variété d'activités qui peuvent prendre place dans les limites ou en périphérie des agglomérations urbaines (Mougeot, 1994). La production de légumes, de fruits, d'herbes, de fleurs, de champignons; l'élevage de porcs, de cochons d'inde, de chèvres, de volaille; l'aquiculture, l'apiculture, les activités de production forestière et même, parfois, la transformation et la vente des produits de ces activités dans les villes sont considérés comme des activités d'agriculture urbaine (Egziabher, 1994: 86). Une définition plus restrictive (Nugent, 1997) la limite à la production d'aliments. C'est cette définition qui est adoptée ici.

L'agriculture urbaine est pratiquée depuis des millénaires . Pour quantité de citadins des pays du Sud, elle représente aujourd'hui une question de survie. Dans les villes africaines, le phénomène a pris beaucoup d'ampleur ces vingt dernières années, et ce pour diverses raisons. Selon Nugent (1997), Maxwell (1995), Atkinson (1995) et Mougeot (1994), la croissance rapide des villes , les conflits armés, une situation économique en nette détérioration suite aux ajustements structurels imposés par les créanciers internationaux, l'orientation de la production agricole en fonction de l'exportation et la baisse du pouvoir d'achat des consommateurs seraient autant de facteurs ayant contribué à l'augmentation du nombre d'individus qui réalisent des activités de production agricole en milieu urbain. Selon Mougeot (1994), dans certaines villes d'Afrique de l'Est, jusqu'à 70% des chefs de famille pratiquent une forme d'élevage à petite échelle ou s'adonnent à l'agriculture vivrière sur des terrains vacants, des lots prêtés ou loués, des espaces réduits près des maisons.

Depuis le début des années 1970, l'agriculture urbaine fait en outre l'objet d'un nombre croissant d'interventions par des agences internationales d'aide au développement. L'importance qui lui est accordée reflète l'évolution des politiques et des programmes en matière de développement international. Ainsi, au cours de cette décennie, l'agriculture urbaine a été considérée principalement sous l'angle de son apport à la sécurité alimentaire des populations des pays moins développés. A l'époque, l'aide internationale au développement était dirigée en grande partie vers la satisfaction des besoins humains fondamentaux (Labrecque, 1997 : 34; Young, 1993). Au cours des années 1980, le potentiel de l'agriculture urbaine relativement à la création d'emplois a davantage retenu l'attention. Le paradigme dominant au sein des agences de développement était d'ailleurs celui de la création d'activités génératrices de revenus (Labrecque, 1997 : Young, 1993). L'agriculture urbaine s'est ensuite vu assigner un rôle de protection et de régénération de l'environnement alors que le développement durable prenait sa place à l'ordre du jour de l'agenda international. Aujourd'hui, c'est à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion que l'agriculture urbaine doit, en plus, contribuer.

Étant donné ses apports diversifiés, l'agriculture urbaine est aujourd'hui considérée par un nombre croissant d'individus, d'organisations de la société civile et de gouvernements comme une solution viable et durable pour contrer l'insécurité alimentaire, le chômage, le sous-emploi et la dégradation de l'environnement dans les villes des pays moins développés (PNUD,1996). Les résultats des recherches réalisées sur le sujet ont signalé les multiples avantages de l'agriculture urbaine et les principaux obstacles auxquels se butte son développement (Henning, 1997; Losada et al., 1997; Mougeot, 1994; Nugent, 1997; Ratta, 1993; Rees, 1997; Schurmann, 1996; Smit, 1996, 1994; Tinker, 1993). Parmi ceux-ci, mentionnons l'accès au sol, au crédit, les règlements de zonage prohibitifs ainsi qu'un manque de savoir-faire chez les populations qui pourraient la pratiquer. Pour faciliter son essor, dans un cadre réglementé visant à assurer la sécurité des producteurs et des consommateurs, on suggère qu'elle occupe une plus grande place au sein des politiques de développement urbain et social aux plans national, régional et local.

L'agriculture urbaine n'est toutefois pas circonscrite aux seules régions du Sud. Les habitants des pays du Nord s'y adonnent aussi. Pour ceux et celles qui cultivent un lopin à la maison ou dans un jardin communautaire, il ne s'agit pas, selon Henning (1997), d'assurer leur survie et celle de leur famille mais plutôt de combler des besoins que l'agriculture industrialisée ne peut pas satisfaire. Ainsi, le plaisir de récolter des légumes qu'on a semé soit même ou de cueillir une salade fraîche au moment de préparer un repas motiverait certains jardiniers. Chez d'autres, produire des aliments sains et sans intrants chimiques ou réutiliser des déchets organiques compostés, contribuant ainsi à la récupération de l'énergie et à la protection de l'environnement, prendrait une importance particulière. L'auto-production de denrées comestibles peut également contribuer à abaisser les dépenses des ménages au chapitre de l'alimentation. Au Québec, c'est ce que font valoir depuis quelques années certaines organisations impliquées dans la lutte contre l'insécurité alimentaire (Leduc Gauvin, 1997 : 53). Elles estiment que le jardinage collectif représente une alternative à l'aide alimentaire pour les personnes en difficulté. Aux États-Unis, nombre de jardins communautaires sont actuellement supportés par des organismes qui Ïuvre dans le domaine de la sécurité alimentaire. Ainsi, bien qu 'au Québec le jardinage communautaire soit encore le plus souvent conçu comme une activité récréative, sa contribution à l'alimentation des familles démunies possède une longue histoire en Europe et en Amérique du nord. Indéniablement liée aux phases de développement accéléré ou de contraction de l'économie marchande capitaliste, l'existence de lotissements voués à l'horticulture en milieu urbain a tantôt été promue par des philanthropes ou des politiciens, tantôt été le fait de mouvements sociaux.

La recension d'écrits réalisée au début de cette recherche a permis de constater que peu de chercheurs envisagent l'agriculture urbaine dans la perspective des rapports sociaux dont elle est porteuse. Pourtant, savoir de quelle façon les jardins urbains s'articulent aux rapports sociaux existants et dans quelle mesure ils contribuent à les modifier est une question d'autant plus pertinente que les efforts déployés par les organismes de coopération internationale, les ONGs locales et les gouvernements pour mettre sur pied des coopératives agricoles urbaines (Nugent, 1997:4) ou des jardins communautaires ou collectifs (Prudencio, 1993: 2) vont en augmentant. Certains chercheurs comme Henning (1997), Rees (1997) et Smit (1994) affirment que l'agriculture urbaine constitue une activité qui favorise l'émergence de nouvelles solidarités socio-économiques et une participation civique accrue, surtout lorsqu'elle est pratiquée dans un cadre collectif. Paiement (1999 : A-9) suggère pour sa part que la mise sur pied de jardins communautaires en milieu urbain au Québec reflète la volonté des citoyens de reprendre du pouvoir sur leur vie quotidienne grâce à une autonomie alimentaire accrue. Pour Ratta (1993 :1), comme pour Cérézuelle (1996), l'agriculture urbaine réalisée au sein de collectifs de production peut être un moyen de faciliter l'incorporation de groupes marginalisés à une activité économique et à une vie sociale et démocratique plus actives. Dans quelle mesure et sous quelles conditions les jardins communautaires québécois et mexicains favorisent-ils (ou non) une participation citoyenne plus active? Voilà la question centrale à laquelle je voulais répondre au moment d'initier cette recherche.

Mon étude a porté sur différents types de jardins ayant une composante communautaire. Le premier comprend les jardins constitués d'un ensemble de petits lopins de terre (Pedneault et Grenier,1996); "(...) qu'un groupe de citoyens gèrent volontairement et où sont pratiquées des activités horticoles" (Cosgrove, 1998; ma traduction). Peu importe leur appellation -jardins communautaires en Amérique du Nord, jardins familiaux en France, coins de terre en Belgique et au Luxembourg, potagers communautaires ou collectifs en Amérique latine- ces jardins ont tous en commun de compter plusieurs jardinets contigus sur une parcelle commune. Ils sont généralement mis en exploitation pour la consommation domestique bien que certaines initiatives soient orientées vers le marché (Frohardt, 1993).

D'autres jardins sont constitués d'une parcelle unique exploitée en collectif (Pouly, 1995:6; A SEED, 1997). On les appelle jardins collectifs. D'autres encore comprennent une superficie dédiée aux jardinets individuels et une autre superficie exploitée en collectif. Enfin, les potagers domestiques issus d'une intervention de développement communautaire ont également été pris en compte dans cette recherche.

Afin d'aborder les rapports sociaux en jeu dans le jardinage communautaire en lien avec la question de la participation citoyenne, la notion de citoyenneté a été découpée en trois dimensions. La première est la citoyenneté sociale. Elle passe par la reconnaissance sociale des individus. La deuxième est la citoyenneté solidaire. Elle renvoie à la responsabilité civile, au savoir-vivre ensemble en société. La citoyenneté active, troisième dimension, est définie comme l'action dans le champ politique. Minimalement, elle renvoie aux mécanismes électoraux de représentation politique. Elle peut en outre s'exprimer sous une forme collective, comme c'est le cas avec les mouvements sociaux, ou sous une forme individuelle, à travers des actions qui remettent en cause les rapports sociaux qui structurent des inégalités (de genre, de classe, de génération, etc.). Enfin, des formes intermédiaires entre l'action politique individuelle et collective serait par exemple avec la participation des travailleurs dans l'entreprise ou celle des membres d'une organisation aux formes démocratiques de prise de décision. La littérature recensée au moment d'élaborer la problématique de recherche permettait d'établir des liens hypothétiques entre le jardinage communautaire et chacune de ces trois dimensions de la citoyenneté.

Concernant la citoyenneté sociale, mentionnons qu'avec la montée actuelle de la pauvreté et de l'exclusion sociale, on assiste dans les pays du Nord à la quête de nouvelles sources de reconnaissance sociale car l'emploi à durée indéterminée, principe identitaire central, est en chute. Dans ce contexte, certains chercheurs ont souligné l'intérêt des activités non-marchandes réalisées dans un espace public pour assurer le maintien de l'identité et de la reconnaissance sociales (Aznar et al., 1997; Roustang et al., 1996, Laville, 1995, Lévesque, 1997, 1995; entre autres). En effet, à l'époque du tout-au-marché, l'auto-production d'aliments permet une certaine autonomie (Gordon et Dotter, 1996; Cérézuelle et Le Formal, 1990; Patel,1991), notamment pour les personnes à faibles revenus et les personnes exclues du marché du travail. En outre, les dons de produits du jardin (les jardiniers ont toujours des légumes en trop au moment de la récolte) permettent aux producteurs démunis par ailleurs de développer des relations d'égal à égal avec autrui. Ils entrent alors dans des réseaux où la réciprocité devient une forme de sociabilité réactivée (Cérézuelle, 1996). Le jardinage communautaire permet aussi de laisser libre cours à la créativité (Perneault et Grenier, 1996) et ce, d'autant plus qu'il est réalisé sur une base volontaire. Il est en cela libérateur. Pas surprenant qu'il soit de plus en plus considéré comme un outil d'intervention thérapeutique. Bref, le jardinage est une activité qui procure de nombreuses satisfactions et qui valorise l'individu de diverses manières (Hynes, 1997; Malakoff, 1998; Pedneault et Grenier, 1998; Schmelzkopf, 1995). L'estime de soi et la reconnaissance acquise peuvent contribuer à faire émerger ou à renforcer la citoyenneté sociale.

La citoyenneté solidaire est à considérer, en premier lieu, en regard de l'espace sur lequel prennent place les jardins communautaires. Il s'agit d'un espace ouvert, un espace public. A moins que les autorités muncipales n'offrent déjà la possibilité d'exploiter des espaces prévus à cette fin, le jardin urbain est un territoire à conquérir et à défendre collectivement (Hynes, 1997). Le sol urbain est en effet l'enjeu de luttes constantes entre les groupes qui désirent en faire des usages différents (résidentiel, commercial, industriel, agricole, parc, etc). Lorsque l'accès au sol est conquis par le biais de l'action collective, une identité et une solidarité collectives émergent avant même le démarrage des activités de jardinage (Landman, 1993).

La création et la pérennité d'un jardin impliquent en outre la réalisation de nombreuses tâches. Lorsqu'elles sont orquestrées au moyen d'une organisation participative, elles contribuent à l'apprentissage de la civilité, de la responsabilité sociale et de la solidarité (Cérézuelle, 1996; Garnett ,1996; Roustang, 1997; Siau et Yurjevic, 1993). Réaliser les démarches nécessaires auprès des autorités compétentes, établir des règlements et les faire respecter, obtenir des fonds garantissant la poursuite des activités, les administrer, diriger des équipes de volontaires assurant l'entretien des espaces communs, occuper un poste de direction sur une base bénévole et obtenir le respect des résidants d'un quartier constituent autant d'activités qui lient solidairement les jardiniers dans un projet commun. Un tel projet renforce les valeurs civiques chez les jardiniers et les habitants du quartier.

Les potagers communautaires peuvent également intervenir sur la dimension active de la citoyenneté. Les initiatives qui font du jardin un lieu d'expression de la démocratie y participent. De plus, l'identité collective et l'expérience vécue peuvent, dans certaines circonstances, se transformer en une force politique. C'est ce qui s'est produit à Jardim Tupy, au sud du Brésil, dans un quartier marqué par le chômage et la pauvreté. Des citoyens ont réussi, par le biais de la création d'un jardin communautaire, à améliorer de façon substantielle les conditions de vie de leur famille. Ils obtinrent de surcroît un résultat inattendu : les gens du quartier prirent conscience qu'en travaillant ensemble, ils pouvaient se sortir d'un système où dominaient les rapports clientélistes. Leur exemple a été suivi dans les quartiers voisins de telle sorte que la donne politique et sociale a été complètement transformée dans cette municipalité (Ferguson, 1992).

C'est dire que le jardinage communautaire a été à l'origine, à Jardim Tupy, d'une prise en charge de sa destinée par la population, donc, d'une revitalisation de la citoyenneté active. C'est en fonction de cette finalité que sont d'ailleurs basées certaines interventions visant à implanter des jardins communautaires ou familiaux (Page, 1986). Dans un premier temps, la valorisation personnelle est l'objectif recherché. Une fois la première récolte réussie, surgit habituellement un intérêt pour la mise en commun de certaines ressources (semences, fertilisants, travail, etc.). Cette mise en commun fait prendre conscience de la force du groupe. Celui-ci peut alors être la source d'interventions sur d'autres enjeux communautaires (Garnett, 1996 ).

La notion de citoyenneté utilisée ici n'est évidemment pas orthodoxe. Elle ne renvoie en effet ni à la conception libérale, ni à la conception social-démocrate, ni à la conception socialiste ou communautariste de la citoyenneté, telles que les distinguent par exemple Ramirez Saiz (1997) ou Janoski (1998). Son découpage en trois dimensions (sociale, solidaire et active) répond à une démarche inductive de conceptualisation, qui permettait de regrouper dans un schéma qui faisait sens les données disparates contenues dans la littérature recensée. L'intérêt d'avoir recours au concept venait par ailleurs du constat qu'il est actuellement au cÏur de débats de société aussi bien au Mexique qu'au Québec. L'utiliser dans le cadre d'une recherche de terrain qui fournirait des données empiriques m'apparaissait être une façon de contribuer au débat.

Le cadre de référence adopté (voir Boulianne 1998a) présumait de l'existence de relations entre les formes de sociabilité (ou les rapports sociaux pris au sens large) présentes sur ou autour des jardins, les caractéristiques des jardins (ceux qui existent en tant qu'organisation autonome ou les organisations promotrices) et les dimensions sociales, solidaires et actives de la citoyenneté. L'hypothèse générale de recherche suggérait que les jardins créés dans le but de réduire l'insécurité alimentaire étaient davantage liés à une économie sociale palliative, sans effets sur la citoyenneté, alors que ceux issus d'une volonté de développement communautaire étaient porteurs d'un projet social favorisant l'expression de la citoyenneté dans ses trois dimensions.

Avant de présenter les cas retenus pour l'étude, un élément de contexte doit en éclairer la lecture. Il concerne l'évolution des rapports entre État et société civile au Mexique et au Québec.

Au Mexique, à l'instar du reste de l'Amérique latine, les mouvements sociaux urbains ont délaissé depuis le milieu des années 1980 la position contestataire qui les caractérisait. Ayant cessé d'exiger de l'État qu'il règle tous les problèmes sociaux, ils sont à la recherche d'alternatives. Celles-ci sont envisagées dans des partenariats dont le gouvernement n'est plus automatiquement exclus (Fox et Hernandez, 1995 : 181; Oakley et Flores, 1994 :296; Regalado Santillan, 1997). Parmi les objectifs recherchés par ces mouvements, la démocratisation de la société occupe une place importante.

Coulomb (1997) et Miraftab (1997 : 45) rappellent qu'au Mexique, la participation citoyenne constitue, depuis la fin des années 1960, un des principaux cris de ralliement des mouvements sociaux. Le gouvernement mexicain, qui ne tolérait autrefois de participation que celle qui était canalisée à travers les mécanismes corporatifs de pouvoir, fait aujourd'hui de la participation citoyenne un des principaux mots d'ordre de sa politique sociale. Le programme national de solidarité (PRONASOL), pierre angulaire de l'administration du président Salinas de Gortari (1988-1994), a marqué à cet égard un tournant important (Hiernaux-Nicolas, 1995 : 205). Ce programme, axé sur la lutte contre la pauvreté, faisait appel à la participation des citoyens pour assurer la mise en place des infrastructures urbaines dont villes et villages sont déficitaires. Il exhortait les organisations populaires et paysannes indépendantes et, surtout, les populations non organisées, qui se trouvaient exclues des formes de contrôle corporatiste traditionnelles (Prévôt-Schapira, 1996), à faire alliance avec le gouvernement. Plusieurs militants des organisations indépendantes, qui appuyaient des partis d'opposition et se gardaient de tout rapprochement avec le parti hégémonique, de crainte d'être absorbés par les mécanismes de contrôle corporatif qui pendant des décennies ont contenu la société civile mexicaine (Reilly, 1996), ont finalement été ralliés à l'État par le biais de ce procédé.

Au plan du développement international, mentionnons que ce n'est que depuis le début des années 1990 que les ONGs sont un interlocuteur reconnu par l'État au Mexique, alors qu'ailleurs en Amérique latine, au Brésil, au Pérou ou au Chili, par exemple, elles ont une présence notable depuis au moins trois décennies. Il faut dire qu'avant le virage néolibéral de la fin des années 1980, les ONGs mexicaines étaient davantage engagées dans des processus de conscientisation, de mobilisation et de revendication. Selon Miraftab (1997 : 35) leurs activités relevaient essentiellement de l'activisme. Confondues avec les mouvements sociaux populaires, elles travaillaient dans le but de contribuer à des changements sociaux en profondeur. Tant et aussi longtemps qu'elles l'ont considéré comme le principal responsable des déboires de la population, l'État mexicain leur refusait toute légitimité.

Aujourd'hui, elles se sont professionnalisées et réorientées vers l'amélioration des conditions de vie des populations vivant dans la pauvreté. Elles jouent davantage le rôle de consultants. En une décennie, souligne Miraftab, les ONGs mexicaines ont délaissé le travail qu'elles faisaient avec les pauvres pour travailler pour les pauvres. Financées directement par des agences internationales, notamment la Banque mondiale, alors que le pays est fortement endetté et que le système politique survit tant bien que mal à une importante crise financière et de légitimité, les ONGs de développement prennent en quelque sorte le relais de l'État national pour l'application de programmes de développement social (Rodriguez et Winchester, 1996 : 69). Ainsi, on assiste depuis quelques années à une convergence sans précédent des discours de l'État et celui de la société civile mexicaine. Ce rapprochement se produit dans un contexte de mondialisation économique et, notamment, financière, qui force les États nationaux à restreindre les budgets alloués aux programmes sociaux.

Ce détour sur les ONGs et les mouvements urbains au Mexique permettra d'une part de mieux situer les initiatives de jardins qui seront présentées maintenant, puisqu'elles mettent en scène ces acteurs sociaux. D'autre part, il est intéressant de souligner certains parallèles entre les situations québécoises et mexicaines quant aux grandes tendances qui ont marqué les mouvements sociaux et les discours populaires et gouvernementaux concernant la participation citoyenne depuis trois décennies.

En effet, au Québec, les mouvements sociaux sont également passés d'une position de confrontation à une position de partenariat, plus ou moins "conflictuelÈ (Favreau, 1995), avec les secteurs publics et privé. Ici aussi, la concertation est à l'ordre du jour de l'agenda du développement social. La reconnaissance de l'économie sociale suite au sommet économique de 1996 et les fonds alloués à son développement depuis sont révélateurs de cette dynamique. Dans cette foulée, plusieurs organisations communautaires se sont donné une nouvelle mission qui accole, non sans heurts, des préoccupations pour le développement d'activités économiques créatrices d'emploi à leurs visées sociales (Bélanger, Boucher et Lévesque, 1994; Favreau, 1995; Klein, 1996). Les jardins communautaires québécois sont au cÏur de ces tendances.

1.2 La recherche terrain

Tel qu'il était prévu dans mon projet, j'ai sélectionné pour la recherche terrain deux initiatives mises de l'avant en vue de contribuer à la sécurité alimentaire de la population locale et deux initiatives axées d'abord sur le développement social local. Dans le premier cas, il s'agit du jardin collectif de la Bouffe du Carrefour, à Saint-Hubert et du projet de jardinets de Tepoztlán, au Mexique. Dans le second, le jardin communautaire Tourne-Sol de Québec et le jardin du regroupement pour l'écologie sociale de Miravalle, au Mexique, ont été retenus.

La grille d'analyse proposée en début de recherche (voir l'annexe 1) a servi de guide pour la collecte des données. Au Mexique, celle-ci s'est effectuée de façon intensive (trois semaines). Un contact avait préalablement été établi avec le coordonnateur d'un des projets étudiés. Sur la base de l'information disponible, ce projet avait déjà été retenu pour une étude plus approfondie. Une fois sur place, d'autres initiatives ont été identifiées et ce n'est qu'après une première entrevue exploratoire auprès d'informateurs-clés pouvant me renseigner sur l'organisation porteuse et le projet, dans une perspective diachronique, que mon choix a pu se fixer sur une initiative particulière. Plusieurs facteurs ont joué dans ce choix, dont la possibilité de pouvoir être hébergée à proximité du quartier où se déroulait le projet et de réaliser des observations in situ ainsi que la disponibilité des participants pour la réalisation d'entrevues individuelles qui permettraient d'en saisir les retombées.

Après l'entrevue exploratoire, un certain nombre d'entrevues semi-dirigées furent réalisées auprès de participants et de participantes. D'autres échanges plus informels eurent lieu avec des gens de leur entourage. Afin de tenir compte de leurs particularités, un schéma d'entrevue distinct a été élaboré à cette étape pour chacune des quatre expériences étudiées (voir annexe b). Outre les projets décrits dans ce rapport, d'autres initiatives mexicaines et québécoises ont fait l'objet de mon étude, quoique de façon moins approfondie. Ils ne sont pas présentés dans ce document. J'en ai toutefois traité ailleurs . La collecte de données concernant les jardins québécois s'est échelonnée sur plusieurs mois entre juin 1998 et février 1999.

Une quarantaine d'entrevues ont été réalisées au total. Au Mexique, six initiatives ont fait l'objet d'une étude exploratoire. Pour les projets retenus, dix participants et participantes, excluant les dirigeants et dirigeantes des projets, se sont prêtés à une entrevue formelle. Une entrevue de groupe a également eu lieu. Au Québec, des entrevues exploratoires ont été réalisées auprès de responsables de cinq initiatives distinctes. Seize participants et participantes des deux projets sélectionnés ont été interrogés individuellement.

Bien que l'échantillonnage réalisé n'ait aucune prétention de représentativité statistique, ce qui importe peu dans ce genre d'étude, j'ai quand même recueilli des témoignages d'hommes et de femmes se situant dans des cohortes d'âge distinctes et qui se trouvaient dans des situations familiales ou sociales différentes afin de pouvoir saisir la diversité des situations individuelles.

Répartition des informateurs et informatrices membres ou participants dans les jardins étudiés

Localisation des jardinsnombre de participantsnombre d'entrevues réaliséeshommesfemmes
Tepoztlan 30 8 2 5
Miravalle 6 3 1 2
Saint-Hubert 20 7 1 6
Québec 112 10 4 6
Total 168 28 8 20

Les résultats présentés ici, j'en suis consciente, demeurent partiels et possèdent de nombreuses limites. Ils éclairent cependant certains aspects du jardinage communautaire en lien avec la problématique de l'économie sociale et de la participation citoyenne.

2. Sécurité alimentaire et jardinage biologique

2.1 Le Héron : un jardin pour les cuisines collectives

Le jardin biologique Le Héron s'étend aux abords de l'autoroute 30, en vue du centre aérospatial de Saint-Hubert, sur la rive-sud de Montréal. En 1998, son principal promoteur était la cuisine collective la Bouffe du Carrefour. Cet organisme tient ses activités dans un ensemble d'habitations à loyer modique géré par l'office municipal d'habitation de Saint-Hubert. Deux tonnes métriques de légumes ont été récoltées sur ce jardin en 1998. Environ le tiers de cette production est demeurée la propriété de la cuisine collective. Le reste a été distribué aux personnes qui ont travaillé bénévolement sur le jardin, dans une proportion équivalente à celle des heures investies.

Le promoteur initial de ce jardin collectif est Équiterre (dont l'appellation était, jusqu'en 1999, "Action pour la solidarité, l'équité, l'environnement et le développement - ASEED Québec). Il s'agit d'une ONG montréalaise dont la mission est "la promotion de choix écologiques et socialement équitables par l'action, l'éducation et la recherche dans une perspective intégrant la justice sociale, l'économie solidaire et la défense de l'environnement" (Équiterre, n.d.). ASEED Québec est né en 1993 à la suite du sommet de la terre de Rio. Fondée par des jeunes montréalais, l'organisation est rattachée à un réseau international voué à la promotion du développement local durable (Henn, 1998). Équiterre mène de front quatre projets : 1) la campagne "Un juste café", qui fait la promotion du commerce équitable ; 2) l'agriculture soutenue par la communauté, qui met en lien des consommateurs et consommatrices et des fermes biologiques ; 3) le transport écologique, axé sur l'utilisation du vélo et 4) "Ensemble en zone verte", qui vise à mettre en valeur des terres agricoles de la zone périurbaine de la région de Montréal tout en offrant des possibilités de formation et l'accès à des légumes biologiques pour les populations à faible revenu (ASEED, n.d.; Équiterre, n.d.). C'est à ce dernier volet que correspond le jardinage collectif biologique.

Le projet "Ensemble en zone verte" visait spécifiquement à mettre en valeur des terres agricoles de la MRC de Champlain par des projets agricoles et agroalimentaires respectueux de l'environnement et à contribuer à la sécurité alimentaire de personnes à faible revenu par des projets de prise en charge et créateurs d'emplois (ASEED, 1997b : 3). Il s'agissait donc, d'une part, dans un souci d'aménagement du territoire, de participer à la préservation des zones agricoles périurbaines qui demeuraient en friche. Leur redonner un usage productif contribuerait à contrer l'étalement urbain. D'autre part, on désirait participer à la lutte contre l'insécurité alimentaire.

Impliqués dès le début des activités d'ASEED dans la mise en place de projets d'agriculture soutenue par la communauté (ASC), les coordonnateurs avaient pu identifié le profil socioéconomique des personnes qui y participaient. Définitivement, les catégories sociales à faible revenu se trouvaient exclues de la possibilité de s'approvisionner en légumes biologiques frais dans ce genre de programme. On songea donc à des moyens de leur rendre ce genre de produits accessibles tout en favorisant leur prise en charge et leur insertion sociale ou professionnelle. Un jardin collectif semblait pouvoir répondre à toutes ces préoccupations. La conception initiale du projet s'est inspirée des expériences des jardins collectifs de Bonaventure, en Gaspésie , et de Moisson des Pays d'en haut, à Sainte-Agathe. Ces organisations sont les pionnières du jardinage collectif au Québec. Leurs jardins ont été conçus comme alternatives à l'aide alimentaire ou comme mécanisme d'insertion sociale et professionnelle (ASEED, 1997a : 6-7).

Des démarches entreprises depuis 1996 auprès du Ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation et de la MRC de Champlain ont débouché à l'hiver 1997 sur une étude de faisabilité, financée par la Société montérégienne de développement (Hunter, 1998). Une part importante de cette étude consistait à sonder l'intérêt des organismes du milieu impliqués d'une façon ou d'une autre dans la lutte contre l'insécurité alimentaire envers un projet axé sur la production horticole biologique (1997a : 1).

Le projet suscita un intérêt plus marqué dans les municipalités où existaient des tables de concertation sur la pauvreté ou sur la faim, soit Longueuil et Saint-Hubert (ASEED, 1997a). En effet, les limites de l'aide alimentaire y faisaient déjà l'objet d'une réflexion collective. On cherchait des alternatives viables qui pourraient permettre aux personnes à faible revenu d'atteindre une certaine autonomie au lieu de demeurer dépendantes de l'aide alimentaire. Mis à part l'intérêt des groupes communautaires pour participer au projet, la disponibilité d'un site adéquat constituait un autre facteur clé pour la faisabilité du projet. L'appui des municipalités pour accéder à certains services nécessaires à la réalisation de jardins (eau, permis pour installer une toilette, etc.) et celui des propriétaires du sol sur les sites potentiels s'est avéré décisif dans le choix des villes de Longueuil et Saint-Hubert pour mener un projet pilote. Bien qu'un jardin ait également été constitué à Longueuil, la suite de ce texte porte essentiellement sur le jardin de Saint-Hubert, qui a fait l'objet d'une étude plus approfondie.

Le terrain d'un hectare et demi sur lequel fut aménagé le jardin Le Héron appartient à la ville de Saint-Hubert. La ville prêta le terrain pour réaliser le projet. Bien qu'il soit accessible par le circuit d'autobus public, le site est en retrait des zones résidentielles.

Outre un labour préliminaire réalisé mécaniquement, le reste du travail de préparation de la terre s'effectua manuellement. Le MAPAQ défraya les coûts liés à l'achat d'équipement. Le Ministère de la métropole a également contribué au financement en défrayant les coûts de préparation mécanique du sol, des frais administratifs, l'utilisation d'une camionnette, etc.

Une subvention du programme Service Jeunesse Canada du Développement des ressources humaines du gouvernement fédéral obtenue par ASEED permit l'embauche de 12 jeunes de 18 à 24 ans à titre d'aides-jardiniers et d'un agronome chargé de la formation des participants. Sept d'entre eux (cinq hommes et deux femmes) ont travaillé sur le jardin de Saint-Hubert et cinq sur celui de Longueuil. Ces jeunes, bénéficiaires de l'aide sociale, recevaient un supplément d'allocation de 120 dollars par mois pour leur participation au programme. ASEED agissait en quelque sorte comme un employeur qui gérait leurs salaires. La subvention couvrait également le salaire d'une coordonnatrice qui les encadrait. Après avoir suivi au printemps une formation théorique d'une durée de deux semaines, ils ont travaillé au jardin quatre jours semaine jusqu'en octobre. Il recevaient en outre une journée de formation hebdomadaire. Celle-ci avait lieu en-dehors du jardin. Elle pouvait porter non seulement sur l'agriculture biologique mais également sur la gestion d'une entreprise ou les aspects de marketing. Elle prenait aussi la forme de courts stages dans des organismes oeuvrant dans le domaine de l'environnement, de l'agriculture ou de la sécurité alimentaire ou encore de la visite de fermes faisant partie du réseau d'agriculture soutenue par la communauté (ASEED, 1997b : 8). La main-d'Ïuvre fournie par ces salariés était essentielle à l'exploitation intensive d'une surface d'un hectare.

Cinq organisations communautaires à vocation distincte s'impliquèrent : le Cachou, un organisme de soutien dans le domaine de la santé mentale, la Maison internationale de la rive sud, qui intervient auprès des immigrants, la cuisine collective La Bouffe du Carrefour, la Parentraide, groupe qui offre des services de halte-garderie et des cuisines collectives et la Banque de nourriture et d'entraide du Québec, qui fait du dépannage alimentaire. Ces organisations recrutèrent à leur tour des jardiniers bénévoles parmi leurs rangs. Un protocole de participation, élaboré par ASEED, les incitait à s'engager à travailler une avant-midi par semaine au jardin pendant une période de 26 semaines. Ainsi, des équipes furent mises sur pied au sein de chaque organisme. Elles se rendaient au jardin à tour de rôle, à raison d'une avant-midi par semaine. En retour, l'organisme recevait des légumes au pro rata des heures travaillées par son équipe.

Chaque organisme décidait ensuite de l'utilisation de ces légumes. À la Parentraide, ils étaient partagés en parts égales entre les personnes qui avaient jardiné. A la Bouffe du Carrefour, une partie était blanchie, congelée et conservée dans les locaux de l'organisme ou utilisée sous sa forme fraîche pour la préparation des repas communautaires. L'autre était distribuée entre les personnes qui avaient jardiné ou participé aux activités de transformation. En moyenne, 26 personnes rattachées à ces cinq groupes se sont rendues travailler au jardin chaque semaine pendant la période prévue à cet effet. L'âge des bénévoles variait entre 20 et 60 ans. Les femmes y étaient deux fois plus nombreuses que les hommes (ASEED, 1997b, annexe 4) .

Les récoltes demeuraient donc la propriété des organismes participants et de leurs membres. Les participants SJC avaient bien pour leur part accès à quelques légumes sur une base ponctuelle, pour accompagner par exemple leur repas du midi pris au jardin, mais sans plus. insérés dans une relation de type contractuelle et recevant une certaine rémunération pour leur travail, ils étaient considérés somme toute comme des salariés d'ASEED. Pour une des responsables d'ASEED, ce type de relation s'harmonisait mal avec la conception originale du jardin collectif. A son avis "...c'était un peu bizarre d'avoir, pour des gens, de travailler tellement fort sur leur jardin et de ne pas avoir, de ne pas goûter plus que ça le fruit de leur récolte". Les participants SJC ont d'ailleurs commenté à la fin de la saison qu'ils auraient apprécié pouvoir disposer de plus de légumes. Nous reviendrons sur ce point plus loin, car il est à mon avis révélateur d'une spécificité de l'activité de jardinage liée à la nature du produit.

Sur le jardin, le travail s'organisait de la façon suivante. S'agissant d'un jardin collectif, l'espace n'était pas divisé en lopins semés d'espèces variées qui sont la responsabilité de différents individus comme c'est le cas dans les jardins communautaires traditionnels. Les variétés étaient regroupées sur des buttes contigu‘s que les jardiniers pouvaient travailler indifféremment. Les tâches à accomplir étaient déterminées selon un plan préétabli par les coordonnateurs (un de la part d'ASEED, une de la part de SJC) et l'agronome consultant. Chaque semaine, un ou une des jeunes aides-jardiniers agissait comme responsable de groupe. Cela faisait partie de leur formation. Toutes les personnes présentes participaient à l'accomplissement des tâches prévues pour la semaine ou la journée. On retrouvait donc indistinctement des gens formés en agriculture, des jeunes en formation et des bénévoles comme exécutants. Ils ont hersé et ameubli le sol, semé les graines ou transplanté les plantules, arrosé , biné, sarclé et récolté. Chaque matin, la journée commençait par l'identification des tâches à accomplir. Ensuite, chacun, chacune y allait selon ses affinités, ses capacités et son goût du moment. Le travail était réalisé sans l'apport de fertilisants ou de pesticides de synthèse, selon des techniques d'horticulture biologique. Par exemple, compost et chaux étaient les principaux fertilisants utilisés. Le compagnonnage entre fleurs et légumes contribuait à éviter la propagation de pestes. La plupart des semences utilisées étaient non traitées.

Les lundis, l'agronome visitait le jardin pour conseiller les jardiniers rémunérés et bénévoles. C'est dire que le groupe qui se présentait le lundi a été avantagé au plan de la formation. Il semble que les relations entre les jeunes et les bénévoles aient été chaleureuses et le climat de travail agréable. Aux dires de la coordonnatrice de la Bouffe du Carrefour :

Ils étaient drôles, gentils, ils se mêlaient avec nous autres, ils travaillaient avec nous autres. On chantait, ils amenaient leur guitare, ça grattait... On avait de la misère à s'en aller du jardin...

Les jeunes de SJC se montraient enclins à partager les connaissances théoriques et pratiques qu'ils avaient acquises avec les bénévoles des différents organismes. Ainsi, il y avait une certaine intégration entre les deux catégories de jardiniers.

19 espèces de fruits et de légumes furent récoltées. Le volume de production s'éleva à près de 4000 kilos. Une valeur de 7300 dollars sur le marché conventionnel. Sur le marché biologique, elle équivaudrait à environ 12 000 dollars (ASEED, 1997b : 13; Cantin, 1998). Tous ces légumes furent distribués entre les organismes participants.

Le bilan de cette première expérience s'avéra positif. La Bouffe du Carrefour se montra intéressée à la reconduire à son compte. Les objectifs du projet de jardin collectif d'ASEED cadraient bien avec la mission principale de la cuisine collective, qui consiste à offrir une alternative à l'aide alimentaire qui puisse favoriser l'auto-prise en charge. Un nouvel acteur entra aussi en jeu : le Centre de distribution alimentaire de la rive sud (CDARS). CDARS est une banque alimentaire qui investit dans la recherche d'alternatives au dépannage alimentaire. Pour CDARS, comme pour la Bouffe du Carrefour, l'aide alimentaire ne saurait constituer une solution viable au problème de la faim au Québec. Ces organisations sont donc à la recherche de solutions plus durables et plus structurantes.

Via un plateau d'intégration financé par le Fonds de lutte contre la pauvreté par la réinsertion au travail, un programme du Ministère de l'emploi et de la solidarité du Québec, CDARS offrait à des personnes vivant de l'aide sociale (ou chroniquement au chômage) la possibilité de prendre part à un programme de formation doublé d'une expérience pratique dans le domaine de l'horticulture biologique, ce qui leur permettrait éventuellement de réintégrer le marché du travail (Safady, 1999). CDARS obtint du Fonds une subvention permettant de créer cinq emplois d'une durée d'un an. C'est un dépassement aux plan personnel, social et professionnel qui était visé pour les participants. Un intervenant psychosocial fut embauché pour encadrer les participants.

ASEED, pour sa part, défraya les coûts liés à l'intervention d'un maître jardinier qui agissait aussi comme formateur . Celui-ci coordonnait également les activités au jardin de Longueuil. Enfin, via une subvention du MAPAQ, ASEED fournit comme l'année précédente les semences et l'équipement requis. Son rôle relevait davantage de l'accompagnement pour cette deuxième année du jardin. La Bouffe du Carrefour, de son côté, a signé l'entente de location du terrain avec la municipalité, organisé et supervisé le travail des bénévoles. Enfin, l'Alliance communautaire pour la formation et le développement (ACFD) est intervenue pour faciliter les liens entre les organismes participants. A la fin de la saison, une évaluation participative a été réalisée afin de faire le point sur ce genre d'expérience. Ainsi, le jardin, sous la coordination de la Bouffe du Carrefour, a joué pour les participantes de CDARS le rôle d'une entreprise d'insertion, bien qu'il n'en ait pas le statut formel.

La Bouffe du Carrefour est une organisation sans but lucratif qui s'est incorporée en 1995. Ses objectifs sont :

  1. Promouvoir l'entraide communautaire en vue d'assurer la sécurité alimentaire des citoyens de Saint-Hubert.

  2. Opérer des activités de cuisine collective régulières répondant aux besoins concrets des participants dans une perspective d'équilibre bio-psycho-socio-culturel.

  3. Diffuser l'information et divers outils éducatifs en matière de santé alimentaire et d'équité sociale.

  4. Stimuler la mise à contribution des ressources et talents des sans-emploi en vue de développer un réseau de croissance personnelle intégré dans la communauté.

  5. Sensibiliser au phénomène de l'appauvrissement en vue d'une action concertée de prise en charge du milieu, pour en réduire les causes. (Bouffe du Carrefour, 1998 : 2)

Outre les cuisines collectives , la Bouffe du Carrefour prépare des repas prêts-à-manger, offre un service de traiteur et organise chaque vendredi un "repas communautaire". Pour la somme de 4.00 dollars, toute personne intéressée peut consommer un repas complet préparé et servi dans les locaux de l'organisme.

La corporation est administrée par un conseil d'administration comptant sept postes : présidence, vice-présidence, secrétariat et trésorerie, qui forment le comité exécutif, et trois postes conseil. Les usagères et usagers des services de la Bouffe sont invités à siéger au conseil d'administration, mais y demeurent en nombre minoritaire. Depuis la naissance de l'organisme, résidants des HLM, membres d'organisations religieuses ou charitables diverses, organisatrices communautaires du CLSC, etc. se sont succédés comme membres du C.A. Le roulement y est assez important. Il y a toujours des postes qui demeurent vacants au sein du conseil d'administration.

Jusqu'en avril 1998, la Bouffe fonctionnait uniquement sur la base de travail bénévole. Une subvention du Fonds de lutte contre la pauvreté du Québec permit de créer des emplois de coordonnatrice, de secrétaire et de cuisinière pour la période allant d'avril 1998 à avril 1999 . Des fonds obtenus de Ressources Humaines Canada permirent l'embauche d'une technicienne en diététique pour une période d'un an. Enfin, le Centre Travail Québec octroya une subvention salariale pour l'embauche d'une technicienne en garderie.

Une quarantaine de ménages, constitués en grande majorité de familles monoparentales dirigées par des femmes, prennent part à l'une ou l'autre des activités des cuisines.

Pour le conseil d'administration de la Bouffe, le jardin collectif devait permettre 1) d'approvisionner la cuisine collective, 2) de fournir des aliments sains et variés aux bénévoles, 3) de former les bénéficiaires à l'approche du jardinage (de la terre à la table), 4) de favoriser l'esprit d'entraide et l'engagement des personnes appauvries et isolées dans une vie sociale active, stimulante et formatrice (Bouffe du Carrefour, 1999).

De l'avis de la coordonnatrice, les deux premiers et le dernier des objectifs ont été atteints. Toutefois, en ce qui concerne la formation, les seules personnes à en avoir vraiment bénéficié sont les participantes au plateau d'intégration de CDARS. La formule privilégiée pour la saison 1998 et le peu d'échanges ayant eu lieu entre celles-ci et les bénévoles de la Bouffe ont réduit au minimum les opportunités d'apprentissage de ces dernières.

Les personnes recrutées par CDARS étaient quatre femmes et un homme, tous âgées de plus de vingt-cinq ans. Ils ont assuré une présence continue au jardin d'avril à octobre, du lundi au jeudi, de 8 heures à 17 heures. Du côté de la Bouffe, un peu comme l'année précédente, on organisa des équipes de travail. Quatre jours par semaine, des bénévoles de l'organisme se rendaient au jardin. Seule la BNEQ s'est joint à la Bouffe avec ses bénévoles, assurant une présence au jardin le samedi. La Parentraide ayant cessé ses activités de cuisine collective, les bénévoles qui y étaient rattachés en 1997 se sont jointes à la Bouffe. Chaque jour, une personne, employée de la Bouffe, agissait comme responsable et emmenait les participants dans son véhicule pou se rendre sur place. Le matin, la responsable de groupe de CDARS faisait part à la responsable de groupe de la Bouffe des tâches à réaliser pour l'avant-midi. On se mettait ensuite au travail. 28 personnes au total, incluant celles de la BENEQ, ont participé au travail comme bénévoles, à raison de 3 ou 4 par jour. Les participants de la Bouffe, à l'exception de deux, étaient des femmes.

Sur le terrain, les relations entre jardinières bénévoles et rémunérées étaient tendues. Des accrochages se produisirent à quelques reprises entre les gens de CDARS et de la Bouffe. En outre, la Bouffe était désireuse d'impliquer des enfants des bénévoles tandis que les travailleuses de CDARS trouvaient qu'ils dérangeaient. A la mi-juillet, on dut procéder à une mise au point afin de clarifier le rôle des différentes catégories de participants au jardin. Les liens entre travailleurs rémunérés et bénévoles ne se faisaient pas. Il y avait peu de communication entre les deux groupes , qui avaient décidément chacun leur vision du jardin. Les participantes au plateau d'intégration voyaient d'un mauvais Ïil que des bénévoles qui ne passaient que quelques heures par semaine sur le jardin repartent avec les légumes dont elles avaient eu soin jour après jour.

Alors que la coordonnatrice d'ASEED trouvait naturel, l'année précédente, que les jeunes de SJC revendiquent leur part du produit, pour la coordonnatrice de la Bouffe il allait de soi que les récoltes n'avaient pas à être distribuées aux personnes rémunérées pour travailler sur le jardin. Ma compréhension en est la suivante. Les jeunes du programme SJC n'étaient pas dans une véritable relation de travail, car leur rémunération se limitait à un incitatif sur leur chèque de la sécurité du revenu. Par contre, les participantes au plateau d'intégration de CDARS recevaient un salaire. La deuxième année du jardin, la Bouffe du Carrefour détenait le principal moyen de travail (la terre). Cependant, elle ne disposait pas de budgets pour en assurer l'exploitation, ce que possédait CDARS. En tout état de cause, la Bouffe était la propriétaire légitime des produits du travail effectué par des salariées sur son terrain.

Les bénévoles de la Bouffe, pour leur part, s'attendaient à recevoir de la formation et éventuellement, de bénéficier d'interventions de la part de l'agent psychosocial embauché par CDARS. Ce ne fut pas le cas. Ainsi, chaque organisme s'investit dans les objectifs qui lui tenaient le plus à cÏur et la collaboration entre les deux demeura à un niveau minimum.

De 19 qu'il était en 1997, le nombre d'espèces cultivées passa à 29 en 1998. Le volume produit, lui, souffrit une baisse (2 tonnes en 1998 versus 4 tonnes en 1997), due à un nombre d'heures de travail rémunéré et bénévole réduit par rapport à l'année précédente. Encore une fois, les légumes conservés par la Bouffe ont été marinés, blanchis, congelés. Des conserves ont été préparées et mis en vente aux locaux de la Bouffe. Les personnes qui ont travaillé à la transformation des produits du jardin ont eu droit, elles aussi, à une part de la récolte.

Les bénévoles se sont impliquées au jardin pour des motifs variés. En gros, il s'agissait de l'attrait des légumes biologiques frais, de la possibilité de travailler en plein air, de briser l'isolement ou de se libérer des jeunes enfants pendant quelques heures. Les bénéfices retirés de leur participation correspondent d'assez près à leurs attentes. Ils ont trait aux économies réalisées au plan du budget familial, à la possibilité de consommer des légumes biologiques, autrement trop dispendieux, à la réalisation d'une activité physique à l'extérieur ou au plaisir de renouer avec un décor et des pratiques associées à la petite enfance et au milieu familial d'origine. La possibilité de développer des relations de camaraderie ou d'amitiés plus stables est de loin ce qui fut le plus apprécié. Que ce soit dans les locaux de la Bouffe ou au jardin, s'investir au sein d'un groupe est donc ce qui a été le plus significatif. Les témoignages qui suivent illustrent ce constat.

Actuellement sans emploi stable et mère d'un adolescent dont elle assume seule la responsabilité, Marjo dit avoir accepté l'invitation de la coordonnatrice de travailler comme bénévole au jardin parce qu'elle avait du temps libre et que cela lui permettrait de retrouver une activité que réalisait ses parents sur la terre familiale. Née en milieu rural, elle se rappelle que lorsqu'elle était toute jeune, ses parents cultivaient un potager à proximité de la maison. Habitant depuis peu un appartement situé dans les HLM de la terrasse Jutras, elle s'est intégrée à un groupe pour la planification et la préparation de mets à emporter. C'est sa première expérience dans une organisation communautaire et elle avoue qu'au départ elle avait des résistances. Pour elle, participer à une cuisine collective, c'était pour les gens vraiment mal pris. Cette perception s'est modifiée depuis et elle se sent membre d'un groupe avec lequel elle est devenue solidaire. Elle amène régulièrement des amies aux repas communautaires du vendredi, pour "encourager la Bouffe". Son implication aux cuisines collectives et au jardin lui ont permis de se faire des relations dans le voisinage. Partager une activité de groupe est d'ailleurs ce qu'elle a le plus apprécié dans son expérience au jardin, où elle se rendait une ou deux demi-journées par semaine. Il est cependant clair pour elle qu'elle ne s'engagerait pas pour une autre saison dans une telle aventure. Sa curiosité a été rassasiée.

Karen, séparée de son conjoint depuis quelques mois et mère de deux jeunes enfants dont elle a la garde, a vécu les difficultés de sa rupture conjugale en ayant le soutien des femmes qu'elle rencontre aux cuisines collectives. Les prestations d'aide sociale constituent son seul revenu. Bien qu'elle ait occupé un emploi à temps plein pendant plusieurs années, elle a choisi de rester à la maison à la naissance de son premier enfant. Depuis, elle n'a pas pu retourner sur le marché du travail. Sa participation aux activités de la Bouffe lui facilite la tâche de nourrir adéquatement ses enfants. Elle n'a pas travaillé au jardin comme tel mais à la transformation des légumes récoltés. Elle avait donc accès à une part des récoltes et pouvait également incorporer sans coût additionnel des légumes restés aux cuisines aux plats préparés en groupe qu'elle rapportait chez elle pour sa consommation hebdomadaire. Mais, pour elle, ce qui compte le plus c'est le support social que lui procurent les autres femmes. Au sujet de sa participation aux activités de transformation des légumes du jardin, elle précise :

C'est... comme un peu, s'échapper des problèmes qu'on a. Puis en même temps, t'apprends aussi à connaître les autres, puis, on parle... on parle en faisant la transformation, puis on apprend à résoudre nos problèmes nous-mêmes, dans le fond.

Sophie est mère de trois jeunes enfants. Il y a deux ans, son conjoint a perdu un emploi stable bien rémunéré pour se retrouver dans de petits boulots. En 1997, elle a participé au jardin collectif par l'entremise de la Parentraide. En 1998, elle s'est impliquée à la Bouffe et a participé pour une deuxième année au jardin. L'alimentation de ses enfants est pour elle un enjeu crucial.

...moi ça m'intéressait, parce que je me disais : je vais donner des heures puis je vais avoir des légumes pour les enfants...je trouvais que ça valait la peine. De pas avoir eu de l'argent sonnant mais d'avoir eu mon... ma paie, finalement, c'était mes carottes pis...moi, personnellement, je suis une mangeuse de légumes...ça fait que c'est sûr que...le fait d'apporter ça, puis de donner quelque chose aux enfants aussi qui est bon. Faut apprendre ça aussi.

Sophie dit avoir effectivement beaucoup appris au cours de ces deux saisons de jardinage. Elle ne serait toutefois pas prête à investir dans son propre potager. Outre les connaissances techniques qu'elle considère ne pas dominer suffisamment pour se lancer toute seule dans une telle expérience, elle trouve que c'est bien plus agréable de faire un jardin en groupe.

Carol, physiquement handicapé depuis qu'il a été impliqué dans un accident de la route, vit de sérieux problèmes d'isolement. A l'invitation d'une voisine, il a commencé à fréquenter la Bouffe. Lorsque la coordonnatrice l'a sollicité, il a accepté de s' impliquer au jardin. C'est d'abord le fait de se retrouver en groupe qui l'attirait dans l'activité jardin. La possibilité d'acquérir des connaissances sur le jardinage lui plaisait également. De violents maux de dos, dûs à son état physique, l'ont empêché de participer sur une base continue.

Les économies que représente la possibilité d'accéder à des légumes sans avoir à débourser compte fortement pour Thérèse, mère de deux enfants, dont le conjoint est, comme elle, sans emploi. Ancienne ouvrière du textile, elle a laissé son travail lors de sa première grossesse. Elle n'en a pas retrouvé depuis. La famille vit des revenus de l'aide sociale. Sur le terrain de leur petit bungalow, acheté par son mari à l'époque où il avait un emploi stable, elle fait un potager tous les étés. Référée à la Parentraide par une intervenante du CLSC lorsque son deuxième enfant était toute jeune, elle y participe depuis maintenant trois ans et s'est intégrée tout naturellement à l'équipe du jardin collectif, la première année dans le groupe de la Parentraide, la seconde avec la Bouffe. Les contacts interpersonnels, lesquels pourront peut-être l'aider à trouver un emploi, jouent aussi un rôle dans son implication. Elle dit avoir décidé de participer au jardin parce qu'elle a trouvé que

...c'est une bonne activité, au lieu de rester dans la maison, prendre de l'air. Et puis ça a aidé, ça nous aide beaucoup. Moi je trouve que ça m'aide beaucoup. Je ne sais pas pour d'autres personnes, mais pour moi oui, ça m'aide beaucoup. Comme je disais sur ma situation... ça me permet de ne pas acheter... au lieu d'acheter des légumes, je vais acheter du lait, du pain, des choses comme ça, ou la viande.

La première année du jardin, comme les bénévoles de la Parentraide se partageaient tous les légumes revenant à l'organisme, elle rapportait beaucoup de légumes à la maison. Elle en donnait à ses voisines qui l'ont toujours appuyée dans les moments difficiles. C'était pour elle une façon de leur rendre la pareille.

Le jardin Le Héron n'est pas responsable de l'émergence de relations d'entraide et de liens de solidarité entre les participantes de la Bouffe du carrefour. C'est d'abord dans les cuisines que celles-ci se sont connues. La survie du jardin ne constitue pas une préoccupation centrale pour les bénévoles de la Bouffe. Par contre, la coordonnatrice voit en ce genre d'initiative la possibilité de création d'une entreprise d'insertion qui profiterait aux activités des cuisines tout en créant des emplois dans le milieu pour leurs usagers et usagères. Ainsi, d'un projet axé sur la sécurité alimentaire, le jardinage collectif est-il dorénavant entrevu comme un moyen de participer du développement économique local tout en conservant des fins sociales.

2.2 La production horticole domestique : l'intervention de Luna Nueva à Tepoztlán

Tepoztlán est une municipalité à prédominance rurale. Son chef-lieu, la ville de Tepoztlán, compte environ 25,000 habitants. Elle se trouve à 80 km au sud-ouest de la ville Mexico. Nichée au cÏur d'un massif montagneux aux formes excentriques, le Tepozteco, qui donne son nom aux habitants de la localité, elle jouit d'un climat agréable toute l'année, ce qui la rend particulièrement attrayante comme lieu de villégiature. Le long des étroites rues pavées de pierres qui la parcourent en tous sens, se dressent ça et là de grandes maisons appartenant aux riches mexicains. Ils n'y viennent que quelques semaines par années, laissant le soin à des Tepoztecos, engagés comme employées ou employés domestiques, de les entretenir pour eux. Tepoztlán et Cuernavaca, la capitale de l'état de Morelos, située à 30 minutes de route, sont des lieux de rencontre privilégiés des militants écologistes de toute l'Amérique du nord. Cuernavaca abrite plusieurs organisations nationales et transnationales qui font la promotion d'approches durables du développement.

A Tepoztlan, comme dans les autres villes moyennes du Mexique, on trouve un fort taux de propriétaires occupants. La résidence y est, traditionnellement, patrilocale. C'est dire que dans la zone de peuplement la plus ancienne, le centre de la ville, les lots originaux ont été plusieurs fois subdivisés pour doter les fils d'un espace où bâtir leur propre maison. Dans les zones d'habitat plus récent, les quartiers populaires, peuplés majoritairement d'une population migrante, les lots originaux sont de taille plus réduite mais demeurent sans divisions. L'habitat vertical est inexistant à Tepoztlan. Enfin, dans les localités rurales de la municipalité, les lots ont une superficie plus grande. C'est dire que dans tous les cas, sauf sur certains lots de chef-lieu, il y a suffisamment d'espace pour un potager. Pendant la saison sèche, la ville de Tepoztlan souffre d'un problème d'approvisionnement en eau, ce qui, ajouté à la présence de lobbies environnementaux dans la région, rend ses habitants particulièrement sensibles aux questions écologiques et d'hygiènes qui y sont liées. Par exemple, Camilo, un des participants au programme de jardinets de Luna Nueva, dit s'y être intéressé parce qu'il permettait de contrôler la qualité des légumes consommés à la maison :

C'est qu'un potager, ça nous aide toujours. Dans le sens où les légumes sont plus propres. C'est que, par exemple, il y a beaucoup de légumes qui se vendent et qui ne sont pas cultivés avec de l'eau propre. Ils sont cultivés avec des eaux usées. Cela est malsain. Alors, c'est pour cela que nous avons décidé de faire notre propre potager à la maison et de l'arroser avec l'eau dont nous disposons et qui, avant tout, est propre. (ma traduction).

Les gens de Tepoztlán possèdent une forte identité locale. Un projet de construction d'un club de golf et d'un quartier résidentiel de luxe présenté en 1994 par une firme privée et approuvé par la mairie, le gouverneur de l'état et le Ministère de l'environnement, doit être mis sur les tablettes car les habitants de Tepoztlán n'en veulent pas. Pour la majorité, il n'était pas question de laisser envahir et détruire leurs terres et leurs forêts par des capitalistes venus de l'extérieur. Ils résistèrent collectivement à toutes les tentatives de persuasion de la part du gouvernement, dont certaines passèrent par la répression violente et une série d'arrestations. Le mouvement déboucha sur l'élection d'un conseil de ville autonome.

C'est dans ce contexte que Luna Nueva, une ONG de développement, met de l'avant en 1997 un projet d'alimentation alternative. Fondée par trois mexicaines, cette organisation Ïuvre dans la municipalité de Tepoztlán, notamment auprès des femmes, depuis une douzaine d'années. Ainsi, Luna Nueva a contribué à la création d'un centre communautaire dans la localité rurale de San Juan Tlacotenco. Ce village est producteur de nopales, un cactus aux feuilles comestibles utilisé depuis la période préhispanique dans la cuisine mexicaine. Les femmes de San Juan se rendent quotidiennement au marché de Tepoztlán pour y vendre des nopales. Le centre communautaire a été créé dans le but de fournir des services de garde à l'enfance pour ces femmes. D'autres services s'y sont ajoutées, comme une clinique médicale, la préparation de déjeuners pour les enfants, une boulangerie de type coopérative.

Le projet de jardinets domestiques et scolaires repose sur du financement international. Luna Nueva a obtenu de la fondation Kellogg's une subvention de 265 353 dollars US répartis sur trois ans. Le projet contient trois volets: nutrition, micro-entreprise et production horticole. La population cible de ce projet : les mères qui allaitent et les enfants (Fondation Kellogg, 1999). L'ambassade du Canada a contribué à l'achat d'une camionnette permettant aux intervenants d'effectuer leurs déplacements dans les différents localités visitées et la compagnie Nissan a fait don d'une autre.

Le volet nutrition comporte différentes activités qui visent principalement la sensibilisation des enfants à l'importance de bonnes habitudes alimentaires et d'hygiène. L'intervention est réalisée principalement à l'école. Un diagnostic de l'état de santé des enfants y est effectué. Les leaders naturels, identifiés lors de la présentation d'une pièce de théâtre, sont invités à participer à des ateliers de formation afin qu'ils deviennent promoteurs de nutrition à l'intérieur de l'école. Pour mener à bien ce volet d'intervention, Luna Nueva avait embauché quatre personnes, dont une se chargeait de la coordination du programme, payé à la pièce le marionnettiste et son équipe, en charge de la pièce de théâtre, et s'était adjoint trois étudiants bénévoles qui réalisaient de cette façon leur service social. Elle comptait également sur les femmes membres du centre communautaire, où étaient élaborés des repas pour les enfants.

Le volet micro-entreprise visait pour sa part à consolider certaines activités réalisées par les femmes de la localité et qui pourraient déboucher sur la génération de revenus. Parmi ces activités, mentionnons la fabrication de conserves ainsi que l'élaboration et la vente de médicaments à base de plantes. Luna Nueva offre des prêts aux groupes d'au moins cinq femmes qui s'associent pour démarrer une petite entreprise (Cebada, 1998). Pour mener à bien ce volet, une coordonnatrice, deux assistants, trois formatrices (nutrition, boulange et conserves), un médecin (cours sur les médecines douces de type homéopathiques) et une personne spécialisée dans l'emploi du temazcal, un bain de vapeur d'origine préhispanique, ont été embauchées.

Le volet horticole vise à favoriser l'auto-production familiale d'aliments frais et sains chez les populations marginalisées, particulièrement en milieu rural . Il s'agit de susciter chez les familles participantes de nouvelles habitudes alimentaires au sein desquelles les légumes occupent une place plus importante et d'en assurer l'approvisionnement en leur donnant les moyens de cultiver elles-mêmes leurs légumes biologiques. Ce volet est financé par la fondation Kellogg's.

Une intervention préliminaire est menée auprès des enfants de sixième année de la municipalité par le biais de l'aménagement d'un jardinet à l'école. Six écoles ont été visitées pendant la première années du projet. L'idée est que les enfants se familiarisent avec le jardinage biologique afin de favoriser la participation de leurs parents au programme de jardinets familiaux.

La culture de plantes médicinales et comestibles sur l'espace domestique étant une pratique répandue dans le Mexique préhispanique (San Vicente, Cebada et Rojas, 1998 : 189; Burns, 1998), les deux agronomes et le technicien en horticulture, embauchés par Luna Nueva dans le cadre de ce projet, ont misé sur l'établissement de potagers à proximité de l'habitat familial pour inciter les Tepoztecos à renouer avec cette pratique. De taille réduite (1 m X 1,5 m) et cultivés selon une méthode organique intensive, ils doivent permettre l'obtention rapide de résultats qui contribueront à stimuler l'intérêt des familles participantes.

Trois ateliers de formation, répartis sur la saison de jardinage, sont prévus : le premier porte sur l'aménagement du terrain, la fabrication de compost et les semis; le second, sur les soins à apporter aux légumes en croissance et le contrôle des pestes et maladies; le dernier, sur les méthodes de conservation, les diverses façons d'apprêter les produits du jardin et la récupération de graines à semer. Entre ces ateliers, les responsables effectuent des visites de suivi. Afin d'encourager davantage les efforts des futures jardiniers et jardinières, on leur fournit une certaine quantité de plantules en plus des semences et ce, dès l'aménagement du potager. Mais pour y avoir droit, il faut d'abord avoir préparé et amendé le terrain (à l'aide des 40 kilos de compost fournis). Les jardiniers doivent cependant fournir leurs outils. Au besoin, Luna Nueva donne aussi du grillage pour délimiter le jardinet et le protéger des rôdeurs et chapardeurs.

À cause de la facilité relative de leur culture, de leur valeur nutritive, de la place déjà occupée dans la culture alimentaire locale et de leur compagnonnage favorable, dix espèces sont privilégiées: brocoli, betterave, radis, coriandre, laitue, oignon, bette à cardes, carotte, courgette et haricots (on inclut aussi de l'ail et des habas - gourganes dans les localités à climat tempéré). Les responsables impriment et distribuent un dépliant conçu spécialement pour le projet qui contient des renseignements techniques essentiels à la culture des espèces retenues. Les semences achetées par Luna Nueva ne sont pas biologiques, car le coût s'éleve considérablement. Elles sont par contre non-hybrides, afin qu'on puisse récolter les graines pour semer à nouveau. Les graines hybrides donnent des plants qui ne se reproduisent plus. Ce sont pourtant celles-là qu'on trouve en grande majorités sur le marché (Cebada, 1998). Au Mexique, on ne trouve pas facilement de semences en enveloppes comme c'est le cas au Québec. Elles sont vendues en gros au kilo ou en boîtes d'aluminium dans des commerces axés sur l'agriculture commerciale. Idéalement, il faudrait donc que les jardiniers d'une localité se regroupent pour en faire l'achat, ce qui implique une organisation durable (Arroyo, 1998, Cebada, 1998). Cela n'est pas chose faite. Les semences au détail font leur apparition depuis quelques années dans les quincailleries franchisées de type américain qui se multiplient dans les grands centres urbains.

Le projet s'échelonne sur deux ans. L'objectif fixé pour la première année était d'établir 180 jardinets dans la municipalité. Le programme a été mené dans six localités différentes de la municipalité, dont le chef-lieu. Les conditions climatiques et l'infrastructure urbaine caractérisant chaque localité ont déterminé le calendrier de l'intervention. Celle-ci a débuté en octobre et s'est déroulée en deux étapes. Lors de la première étape, elle s'est effectuée dans des localités qui ne sont pas dotées d'un système d'alimentation en eau courante, Amatlan et Ocotitlan. Il fallait commencer par celles-là pour profiter de l'humidité accumulée dans le sol pendant la saison des pluies, qui tirait à sa fin. La seconde étape eut lieu à partir de février. On visita alors des municipalités dotées d'eau courante, dont les habitants pourraient tirer profit pour arroser leur jardinet (Cebada, 1998).

Dans les localités rurales, le recrutement des participants s'est fait via des personnages connus au plan local, c'est-à-dire les adjoints à la mairie et majordomes. Le principe était le même partout : lancer une invitation ouverte à la population à assister à une rencontre d'information. Dans le message diffusé on mentionnait que Luna Nueva allait fournir gratuitement du compost et offrir aux participants une formation en techniques organiques de culture potagère, laquelle allait inclure un suivi individualisé. Dans la ville de Tepoztlán, on eut recours aux haut-parleurs dont sont dotées les chapelles de quartier pour lancer l'invitation à la population de Santo Domingo. Les intéressés pouvaient s'inscrire après l'assemblée d'information tenue, en l'occurrence, sur le parvis de la chapelle. Un autre groupe (qui s'est démantelé après le premier atelier) était issu de femmes ayant suivi un cours de nutrition offert par Luna Nueva. Enfin, un groupe d'intervenants travaillant pour Luna Nueva a aussi été formé. Partout, les ateliers de formation ont lieu chez un ou une volontaire. Cette personne "reçoit" le premier jardinet, qui sert de démonstrateur. L'atelier conjugue théorie et pratique. On y procède aux semences et à la transplantation des plantules.

Bien que ce programme soit ouvert à tous, les femmes y ont participé en plus grand nombre que les hommes (environ 70% de femmes pour 30% d'hommes). La plupart des participants n'ont assisté ni au premier atelier, ni aux suivants. Plusieurs, qui s'intéressaient déjà au jardinage, voulaient surtout profiter de conseils horticoles et du compost.

En termes quantitatifs, les résultats obtenus surpassent les objectifs fixés. Après un an, 179 maisonnées, résidant dans six localités différentes, avaient initié un jardinet et plusieurs d'entre elles cultivaient plus d'un lopin. Combien ont récolté des légumes et ressemé? Rien n'est moins sûr. Des sept participants et participantes visités lors de l'enquête dans le chef-lieu de Tepoztlán (une trentaine de jardins y ont été implantés), quatre avaient réussi et trois avaient échoué. Les premiers avaient bénéficié de visites de suivi des responsables de Luna Nueva. Les seconds, non. Laissés à eux-mêmes, les jardiniers et jardinières en herbe n'y arrivent pas. Avec seulement trois personnes qui fournissent des conseils de façon individualisée, la tâche est colossale, voire irréalisable. Le mode d'évaluation des organismes subventionnaires, généralement axé sur l'atteinte d'objectifs en quantités, s'agisse-t-il de superficie, de volume de production ou, dans ce cas, de maisonnées où un jardinet a été aménagé, force les organisations à s'adapter, ce qui les fait négliger les dynamiques sociales en cause. Dans ce genre de projet, rarement les organismes subventionnaires vont-ils s'intéresser aux changements provoqués par l'intervention chez les participants. Un intervenant de Mexico s'est d'ailleurs montré surpris quand je lui ai demandé si leur projet avait facilité la reconnaissance sociale des femmes qui s'y étaient associées. Il m'a dit que malheureusement, les financeurs ne s'arrêtent pas sur ces questions, qui sont pourtant importantes puisqu'elles peuvent constituer un impact majeur de projets qui, au seul plan de la production, semblent constituer des échecs. Les intervenants de Luna Nueva auraient souhaité que les participants s'échangent des plantules, des semences. Cela ne s'est pas produit. Ils encouragent également les gens à produire de façon à dégager des surplus qui pourraient être commercialisés, afin de faire du jardinage une activité génératrice de revenus d'appoint (Cebada, 1998; Chavez, 1998). Mais le jardinage demeure encore embryonnaire à Tepoztlán.

Dans les communautés rurales, les affinités personnelles et les relations de parenté ont déterminé le recrutement. C'est une minorité de personnes qui se sont inscrites aux ateliers de formation. Si ils avaient été une condition de la participation au programme, celui-ci n'aurait pas eu beaucoup de succès.

Même si l'ONG qui l'a conçue et la réalise est régionale, ce programme représente une intervention de développement "de l'extérieur",. L'intervention est non participative, et ponctuelle. Les "bénéficiaires" ne participent ni à la planification, ni à la formation des autres, ni au suivi, qui demeurent sous l'entière responsabilité du personnel employé par l'ONG à cette fin. Les intervenants de Luna Nueva étaient d'ailleurs des personnes inconnues des participants et avec lesquels ils n'entretiendront pas de relations une fois le projet terminé. Les groupes, formés de façon ad hoc pour faciliter le travail de formation, n'ont pas d'existence en-dehors des ateliers. Il n'y a pratiquement pas de contacts entre les participants. Enfin, les contraintes liées aux conditions de financement du projet laissent peu de place à l'émergence de dynamiques sociales plus soutenues.

Ainsi, malgré l'intention de Luna Nueva de donner aux Tepoztecos les outils nécessaires pour poursuivre leurs activités de production de façon autonome, cet objectif n'a été que très partiellement atteint. Ceux-ci demeurent dépendants des employés de l'ONG pour renouveler semences et plantules. La formation reçue est trop courte pour leur permettre de réagir adéquatement lorsqu'un problème se présente. Les jardins sont alors abandonnés.

Afin d'illustrer les dynamiques individuelles en jeu, sont rapportés dans les paragraphes qui suivent les propos de quelques participants et participantes.

Carmen est originaire de la ville de Mexico. Elle est venue s'installer à Tepoztlan il y a cinq ans parce que son mari y avait trouvé un emploi qu'il a, depuis, perdu. Ils louent une maison dans un quartier central de la ville. La maison dispose d'un grand terrain. On y trouve un petit champ de maïs appartenant à la propriétaire des lieux. Carmen habite cette maison avec son conjoint et leur deux fils, dont l'un est père d'une petite fille de deux ans. C'est elle qui, pratiquement, élève cette enfant. L'emploi de mécanicien que détient actuellement son conjoint chez PEMEX le retient à l'extérieur cinq jours par semaine. Carmen dit que s'occuper de la petite la tient occupée. Elle-même mère à l'âge de 15 ans, elle est grand-mère à 35 ans. Elle a interrompu ses études secondaires à la naissance de son premier enfant. Elle les a récemment conclues en suivant des cours offerts au module local de l'Institut National d'Éducation aux Adultes. Maintenant, elle désire travailler. Mais pour avoir un travail intéressant, elle considère qu'elle doit suivre un cours post-secondaire. Son conjoint l'encourage à le faire. Si elle désire travailler, ce n'est pas parce qu'ils sont économiquement dans le besoin, mais pour s'occuper, car elle se sent désÏuvrée. Elle trouve qu'en se mariant aussi jeune, elle a en quelque sorte gâché sa vie. Elle se sent peu intégrée à Tepoztlán. Pour s'occuper et apprendre quelque chose d'utile, elle a suivi des cours de nutrition et de cuisine offerts par Luna Nueva. Puis, elle s'est inscrite dans le projet de jardins potagers.

D'abord, parce qu'il y avait de la place sur le terrain. Ensuite, parce que c'est toujours plus appétissant de manger des légumes frais : de la laitue, des radis, des bettes à carde... et pour avoir quelque chose de productif à faire parce que, un potager, il faut y mettre du temps.

Carmen n'a pas goûté aux légumes semés. Bien qu'elle ait entouré son petit lopin d'une maille protectrice afin de la protéger des animaux indésirables, il n'a pas résisté aux attaques d'un rongeur qui s'est creusé un tunnel pour atteindre les tendres plants. L'expérience de jardinage de Carmen a donc été de courte durée.

Le conjoint de Juanita s'absente pour sa part pendant parfois plus d'une année. Il travaille en Californie. Elle fait la cuisine dans un restaurant local les fins de semaine. Elle a deux enfants, un garçon et une fille, âgés de moins de dix ans. Elle habite une case au plancher de terre battue située au bout du terrain qui appartenait à son père. Pour s'y rendre, il faut passer entre les cases de ses frères. Ils y vivent avec leur maisonnée. Tous partagent la même cuisine.

Juanita a entendu parler du projet de Luna Nueva quand l'annonce en a été faite à la chapelle de Santo Domingo. Elle était désireuse d'y prendre part parce que, dit-elle, elle n'aime pas rester à rien faire; elle désire être continuellement occupée à quelque chose de productif. Le jardinet a été aménagé sur le terrain de la voisine. Celle-ci s'était elle aussi inscrite au programme. Elle a suggéré à Juanita l'idée de faire leurs jardinets l'un à côté de l'autre, question de s'entraider au besoin.

Ses frères l'ont aidée pour creuser le trou et y incorporer le compost. Le soin à apporter aux plantes, c'est elle qui s'en charge. Juanita possédait déjà certaines notion de jardinage, acquises alors qu'elle occupait un emploi de domestique dans une maison du centre de la ville. Son potager a bien réussi. Les légumes étaient partagés avec la famille de sa voisine et celles de ses frères. Elle se souvient que des voisines de quartier lui ont souvent dit qu'elle avait un beau jardin. De son avis, le jardinet lui a permis de faire des économies. Il l'a également forcée à mieux organiser ses activités quotidiennes, de façon à avoir du temps pour en prendre soin. Juanita a reçu plusieurs fois la visite des intervenants de Luna Nueva, qui lui ont prodigué des conseils horticoles. Elle est d'avis que pour persister dans ses activités de production potagère, elle a besoin du soutien technique car elle ne domine pas les principes de compagnonnage, le contrôle biologiques des insectes nuisibles, etc. Elle espère donc le retour du technicien, qui doit lui rapporter des semances, pour recommencer un nouveau cycle de production.

Cristina, une travailleuse sociale qui gagne sa vie comme commerçante, s'est inscrite au programme de jardinets pour que sa fille et les enfants de ses sÏurs, qui se retrouvent souvent ensemble, s'activent autour d'une activité utile au lieu de passer leur journée à jouer. Elles voulaient qu'ils apprennent à semer, à prendre soin des plantes, à travailler, comme elles l'ont fait elles-mêmes dès leur enfance. Sur leur terrain, elles ont des plantes en permancence : piment, tomate rouge, tomate verte, coriandre. Mais sa sÏur et elle, qui ont été élevées par une grande tante, ont toujours rêvé d'avoir un potager productif et diversifié. Leurs nombreuses tentatives ont échoué. Elles se sont intéressées au programme de Luna Nueva parce que l'ONG allait fournir du compost et des conseils techniques, ce qui à leur avis leur manquait le plus pour réussir. Leur terrain étant trop ombragé, l'expérience a été, encore une fois, peu probante.

Le discours de Paola, une employée domestique qui entretient avec sa sÏur la maison d'une famille de Mexico qui séjourne à Tepoztlan durant les vacances, est étonnamment articulé. Environnement, nutrition, apprentissage y sont liés. Paola a d'abord suivi le cours de nutrition offert par Luna Nueva et s'est ensuite inscrite au programme horticole qu'elle trouve complémentaire. Elle explique son intérêt en disant qu'elle s'est inscrite "pour ne pas consommer autant de produits transformés lesquels nous font plus de mal que de bien. Alors comme cette occasion s'est présentée, c'est une occasion de plus d'apprendre quelque chose." Ses patrons lui ont permis d'aménager son potager près de la piscine, derrière la maison. Elle non plus n'a pas eu de chance : des animaux se sont régalés avant qu'elle ne puisse le faire. Elle remarque que son garçon de neuf ans était très attiré par le potager. C'est lui qui l'arrosait et il aimait observer la croissance des plants.



Do–a Mar’a, pour sa part, s'occupe de son potager avec sa fille Angela. C'est cette dernière qui s'est inscrite quand Luna Nueva a fait la promotion de son programme. Do–a Mar’a ne voulait pas s'engager parce qu'en tant que mère de famille, elle doit d'abord remplir ses obligations domestiques, ce qui pouvait éventuellement l'empêcher de se présenter aux ateliers qui avaient lieu en soirée. Son mari et ses fils cultivent une parcelle à l'extérieur de la ville et y élèvent quelques vaches. Elle se doit d'être là pour leur servir leur repas quand ils reviennent le soir. La cour de la maison est remplie de plantes d'ornements fleuries. Do–a Mar’a dit avoir aménagé son jardinet pour les motifs suivants :

...nous aimons avoir des plantes. Si je trouve un piment séché, je le plante et parfois il germe, et il pousse, et je trouve cela très intéressant. Et puis, semer des radis, de la laitue, c'est agréable aussi et en même temps, la coriandre par exemple, si vous en avez besoin, vous sortez et vous en coupez.

Bien qu'elle ait l'habitude de semer certaines plantes d'usage courant dans la région, Do–a Mar’a en était à sa première expérience avec les radis, la laitue et la bette à carde, qu'elle se procurait au marché. Bien protégé de ses poules par une maille de poulailler fournie par Luna Nueva, leur jardinet a porté fruit.

Do–a Mar’a rencontre à l'occasion d'autres personnes qui ont participé au programme de jardinets et s'informe de leur réussite. Ce sont là les seules interactions avec les autres participants et participantes du projet.

Les impacts sociaux du projet de jardinets domestiques de Luna Nueva concernent surtout les individus qui participent et, dans une moindre mesure, leur famille. On a remarqué que certains membres des maisonnées impliquées, qui prennent la responsabilité des lopins, en tirent une grande fierté et une satisfaction évidente, notamment les enfants et les personnes souffrant d'un handicap physique ou intellectuel. Les produits du jardinage sont consommés principalement par les membres de la maisonnée. Des enfants mariés, qui vivent à part avec leur maisonnée, ont également accès aux produits du jardin. Le projet ne semble pas, du moins dans sa phase actuelle, provoquer de dynamique particulière au sein de la communauté.

3. Jardinage et développement social local

3.1 Le jardin le Tourne-Sol : espace de récréation, de production et d'échange

Ce jardin communautaire est situé dans le quartier Saint-Sauveur de la Basse-Ville de Québec. Fondé à l'hiver 1983, il est le plus ancien parmi les cas étudiés. L'époque de la création du jardin est celle d'une crise économique qui faisait passer le taux de chômage de 10,3% en 1981 à 13,8% au Québec en 1982, puis à 13,9% en 1983 (Boily, 1998). Il se résorbe quelque peu par la suite. A Québec, le quartier St-Roch avait subi d'importantes transformations, avec la création du Mail St-Roch et la multiplication des voies rapides près de la rivière St-Charles, ce qui mena à l'éviction de nombreux locataires et à l'affaiblissement de la dynamique sociale dans le quartier. Le quartier St-Sauveur, pour sa part, demeurait peu touché par ces transformations urbaines. Andrée Fortin estime qu'il y existait des contacts continus entre les maisonnées, lesquelles étaient souvent apparentées entre elles par les hommes, ou bien ainsi intégrées à des réseaux informels d'échange et d'entraide entre femmes (Fortin, 1986 : 162-163). Dans ce quartier, le paysage urbain se caractérise par une forte densité de l'espace construit, des rues étroites, peu d'espaces verts. C'est dans ce contexte qu'est né le projet de jardin communautaire biologique.

Un jeune ingénieur en électronique de retour d'un stage dans des fermes bio dynamiques allemandes et une diplômée au niveau collégial en sciences naturelles ont été les instigateurs du projet. En 1982, ils sont sans emploi. Inspirés par des tentatives récentes d'implantation de jardins communautaires à Québec (Rouleau et Suys, 1987 : 2), ils entendent contribuer à la mise sur pied d'un jardin communautaire biologique dans la Basse-Ville. Ils font appel à un autre copain, lui aussi technicien en sciences naturelles, qui a développé une expertise en horticulture aux serres du domaine Forget, à Ste-Irénée, dans la région de Charlevoix (Goyette, 1986 : D-3). Enthousiasmé par l'idée d'un jardin biologique dans la ville de Québec, il se joint à eux. Début mai, ils déposent une demande de subvention au Ministère du travail et de la Main-d'Ïuvre du Canada, dans le cadre du programme de création d'emplois Chantiers Québec. Les objectifs du projet: rendre le jardinage biologique accessible aux familles de la Basse-Ville, qui vivent pour la plupart dans des immeubles de location sans accès à un terrain; développer une conscience environnementale dans le quartier; contribuer à son embellissement; y créer une fierté collective et favoriser le développement de liens sociaux .

Dans l'attente d'une éventuelle subvention, ils s'activent pour dénicher un terrain adéquat. Ils identifient un terrain vague de bonne dimension à l'intersection des rues Montmartre et Sacré-Coeur. Il appartient à la communauté des Augustines de l'Hôtel-Dieu du Sacré-CÏur. Il faut l'accord de la congrégation pour y avoir accès. A la mi-juillet, Chantiers Québec leur annonce qu'ils communauté des Augustines. Elles acceptent de leur louer le terrain pour un montant symbolique et cela, pour une durée de trois ans. On se met au travail.

La subvention de Chantiers Québec représente 36,000 dollars pour des salaires et 1500 dollars pour l'aménagement du jardin. Six emplois sont créés pour une durée de vingt semaines; celui du coordonnateur et de ses associés et trois emplois de manÏuvres qui participent au nettoyage du terrain. Ce dernier avait, durant une époque, servi de pâturage aux chevaux des Augustines. Par la suite, il avait été utilisé comme dépotoir à neige et à déchets solides.

Une fois le terrain nettoyé, le Service des loisirs et parcs de la ville de Québec prête des outils (Roy, 1982 : A-3) et débourse pour le faire labourer par un cultivateur. Désireux de fabriquer du compost dès la première année, les trois associés récupèrent du fumier auprès des caléchiers de Québec. Les écuries se trouvent à proximité, dans le quartier Saint-Sauveur. On s'approvisionne d'autre part en déchets verts auprès des agriculteurs qui tiennent boutique au marché St-Roch. Un centre jardin fait don d'arbustes et de plantes d'ornementation (Roy, 1982 : A-3). Une fois le terrain nettoyé, amendé et préparé, on y sème du sarrasin, un engrais vert (Hodgson, 1986 : 35). Il fertilisera le sol de façon naturelle en vue de la première saison de jardinage. Avec l'accord des sÏurs, on s'approvisionne en eau à partir du jardin du monastère .

Les promoteurs du jardin ont leur quartier général dans un bureau prêté par le CLSC Basse-Ville. A l'automne, ils procèdent au recrutement des membres. Un article qui paraît dans le journal Le Soleil à l'automne fait connaître le projet. Des invitations sont placées dans les caisses populaires et les feuillets paroissiaux en Basse et Haute Ville. Le presbytère de la paroisse Saint-Malo prête un local pour effectuer les inscriptions. Elles ont lieu début novembre 1982. En deux jours, tous les lots sont loués. On doit dresser une liste d'attente. C'est dire que le projet répond à un besoin. La vocation biologique du jardin en attire d'ailleurs plusieurs.

L'assemblée de fondation du jardin se tient à l'hiver. Il s'incorpore comme organisation sans but lucratif sous le nom provisoire des "jardins communautaires biologiques de Québec". Ce sont les membres qui lui assignent son appellation de Tourne-Sol lors d'un concours tenu au printemps suivant.

Le jardin le Tourne-Sol occupe un terrain d'une superficie de 75 m par 105 m, soit 7875 mètres carrés (Roy, 1982 : A-3; Lauzon, 1994 : 33). Lors de la première saison de jardinage, en 1983, on y trouve 223 jardinets de 192 pieds carrés (12 X 16 pieds), soit 3.6 X 4.8 mètres, (ou 17.28 mètres carrés) que se partagent 179 membres. Outre les lopins individuels, le site comporte des espaces communautaires qui occupent une superficie de 3935 mètres carrés : un étang, un coin pique-nique, des buttes à courge, une zone de tournesols et autres plates-bandes de fleurs et de fines herbes. Ces espaces sont la responsabilité de tous les membres et leurs produits appartiennent à la collectivité. Les gros équipements comme les tables de pique-nique et les balançoires appartiennent aussi à l'organisation. Le jardin possède des outils qui sont prêtés aux membres. Le compost, fabriqué sur place, est également mis gratuitement à leur disposition.

A l'origine, une section du terrain formait une zone marécageuse où l'on pouvait difficilement aménager des jardinets. Au lieu de l'éliminer, les fondateurs du jardin décidèrent d'en tirer profit. On creusa donc davantage dans le but d'y aménager un étang. Dès la première année, on installa une pergola près du plan d'eau afin d'y créer un coin détente. Pour les initiateurs du jardin, ceci allait permettre de créer une atmosphère agréable qui favoriserait l'établissement de liens sociaux et un sentiment de fierté chez les membres. Aujourd'hui, l'étang représente un élément central du jardin. Il est effectivement devenu un lieu de détente fréquenté par les membres et leurs enfants qui, notamment, viennent observer les canards qui y nichent.

Le jardin le Tourne-Sol est administré par un conseil d'administration. Celui est composé de cinq membres qui forment le comité de direction et de neuf responsables des autres comité (inscription (1), semences (1), travaux communautaires (2), aménagement (2), animation (1), communications (2). Les comités qui exigent plus de travail et comptent plus de membres ont deux représentants.

Les membres du C.A. sont élus pour une période d'un an lors de l'assemblée générale d'automne. Ils peuvent être réélus. Les membres du comité de communication se chargent, par le biais d'un avis de convocation envoyé pas la poste, de faire part à tous les membres de la date et lieu de la tenue de l'assemblée. A cette occasion, le conseil d'administration sortant fait un bilan de la saison qui vient de se terminer, la personne en charge de la trésorerie émet son rapport financier et on procède à l'élection du nouveau conseil d'administration. C'est aussi à ce moment que sont considérées les demandes de modifications aux règlements.

Une autre assemblée se tient au printemps. Elle a lieu une fois la période d'inscriptions terminée. Elle permet aux nouveaux membres de connaître les autres et aux anciens de se retrouver après l'hiver, dans une période où l'excitation de l'arrivée d'une nouvelle saison de jardinage gagne les coeurs. La tenue de cette assemblée vise surtout à informer les membres des projets en cours, à compléter au besoin la formation des comités et à rappeler les règlements les plus importants. Les taux de participation à ces assemblées sont généralement élevés.

Outre l'assemblée générale, une soirée d'inscription pour les personnes qui sont déjà membres se tient également à l'automne. A ce moment, celles qui ne désirent pas renouveler la location de leur(s) lot(s) sont tenues d'en aviser le comité d'inscription. Celles qui désirent louer un lot supplémentaire doivent également le faire savoir. Une fois les renouvellements effectués, on procède à l'attribution des lots aux demandeurs de lots supplémentaires. En février se tient l'inscription des nouveaux membres. Comme il y a habituellement une liste d'attente, qui peut contenir jusqu'à une quarantaine de noms, les personnes qui y sont inscrites sont convoquées par un ou une responsable du comité des inscriptions. S'il manque des places, priorité est accordée aux résidants de la Ville de Québec. On attribue les lots dans l'ordre chronologique d'inscription sur la liste d'attente.

L'inscription du ou de la membre-locataire se fait à titre individuel et donne droit à un seul vote aux assemblées. Des co-locataires, dûment identifiés sur la fiche d'inscription du premier, peuvent jardiner dans le même lot. Il peut s'agir de membres du même ménage ou d'une personne résidant à une autre adresse civique.

Une cotisation (20.00) est exigée lors de la première inscription. Celle-ci est remboursée lorsque le membership prend fin. Chaque lot a un coût de location annuel (24.00 en 1998). Au moment de l'inscription, le nouveau membre reçoit, moyennant un dépôt de garantie de quinze dollars, une (ou au besoin, deux) clé donnant accès au jardin et au cabanon à outils. C'est aussi le moment de s'inscrire dans un des comités du jardin car l'ensemble des tâches nécessaires à son bon fonctionnement, de même qu'à l'amélioration, à l'aménagement et à l'entretien des installations sont réalisées par les membres. Environ dix-huit heures de travail communautaire sont exigées de chaque membre. C'est au ou à la responsable de chaque comité de veiller à ce que ses troupes effectuent leur travail. Sont comptabilisées dans les tâches communautaires une heure de travail dans la fabrication du compost (réalisée individuellement ou lors des corvées automnales) et la participation aux assemblées générales. A défaut de réaliser les tâches prévues, les membres s'exposent à une amende. En cas de récidive, l'année suivante, c'est l'expulsion. Le ou la co-locataire réalise parfois les tâches communautaires avec ou à la place du ou de la membre-locataire.

Le jardin s'autofinance complètement. Ses revenus proviennent principalement de la location des lopins. La vente aux membres de semences , de paille, de boissons gazeuses achetés en gros représentent une autre source de revenus. A l'automne, miel et courges produits au jardin sont également mis en vente. Dans le cas de projets spécifiques, comme par exemple l'aménagement de l'étang, le jardin a compté sur certaines subventions. Enfin, mentionnons qu'à chaque été, un ou une stagiaire est embauché par le biais d'un programme fédéral d'employabilité pour les jeunes. Étudiant en horticulture au secondaire ou au collégial, le ou la stagiaire se charge principalement de donner un coup de main aux jardiniers et jardinières dans la lutte contre les insectes nuisibles ou les maladies qui attaquent les plantes.

La dépense la plus importante concerne l'emploi (subventionnée) du ou de la stagiaire. L'achat de fumier vient en second rang dans les dépenses annuelles du jardin. La rubrique représentant la troisième dépense en importance correspond aux services fournis par la Ville de Québec : approvisionnement en eau, en électricité, location d'un conteneur à déchets et d'une toilette chimique. Pendant les premières années de son existence, la ville de Québec offrait ces services gratuitement. Aujourd'hui, sa part de subvention indirecte a considérablement diminuée. Elle facture ces services à 75% de leur coût réel. Viennent ensuite l'achat de pesticides organiques, les remboursements de leur cotisation aux membres qui quittent, la contribution du jardin au salaire du ou de la stagiaire et l'achat d'équipement et services divers.

Le Tourne-Sol possède un petit journal, conçu et produit par les membres du comité des communications. Il sert de bulletin de liaison. Publié à trois reprises au cours de l'été, il est distribué au jardin. Au jardin, un babillard permet l'échange d'information écrite entre la direction et les jardiniers. Il y a aussi la chaîne téléphonique pour s'assurer de rejoindre tout le monde rapidement. Les plaintes et suggestions sont la plupart du temps acheminées de vive voix au comité de direction, qui se charge de faire respecter les règlements. Toute modification de règlement doit être soumise à l'assemblée générale.

Parmi les membres inscrits comme locataires, on trouvait en 1983 101 femmes (56%), 74 hommes (41%) et 5 organismes du milieu (3%). Les lots sont répartis de la façon suivante : 137 membres (77%) ont un jardinet, 40 (22%) en ont deux et deux membres (1%) trois. La moyenne est donc de 1.26 jardinets par membre.

annéemembreslotsfemmeshommesorg. com.1 lot2 lots3 lots
1983 179 223 (100%) 101 (56%) 74 (41%) 5 (3%) 137 (77%) 40 (22%) 2 (1%)
1998 112 197 (100%) 112 (52%) 51 (45%) 3 (3%) 51 (46%) 37 (33%) 24 (21%)

En 1998, 112 membres, dont 58 femmes (52%), 51 hommes (45%) et 3 organismes (3%) se partagent 197 lots de la même superficie: 51 membres (46%) possèdent un lot, 37 membres (33%) deux lots et 24 membres (21%) trois lots, pour une moyenne de 1.76 jardinets par membre. Après seize années d'existence, on note donc une concentration accrue des lots, ainsi qu'une augmentation de la proportion du terrain réservée à des usages communautaires (elle est passée à 4470 mètres carrés, soit une augmentation de 14%). La proportion d'hommes et de femmes inscrits comme locataires demeure sensiblement la même quoi que l'on remarque une légère augmentation (4%) des lots adscrits à des hommes.

Jusqu'en 1998, le Tourne-Sol avait accueilli dans ses rangs plus de 900 membres locataires . En moyenne, les femmes ont représenté 57% du membership, les hommes, 41% et les organisations, 2% de celui-ci.

Au cours de ces années, parmi les personnes qui ont occupé un poste au conseil d'administration (formé exclusivement à l'interne) comme responsable d'un comité ou de la direction, on trouve 56% de femmes et 44% d'hommes. Cette proportion selon le sexe est la même que celle qui caractérise le membership. Ainsi, hommes et femmes semblent participer dans une mesure comparable aux instances de décision et de contrôle du jardin. Concernant l'implication des membres sur des postes de responsabilité, les données montrent que dans 80% des cas, c'est entre la première et la quatrième année comme membre qu'elle se produit, et dans 64% des cas avant la quatrième année. Dans seulement 18% des cas, la décision de prendre un comité en charge ou d'assumer un poste sur le conseil de direction n'a été prise qu'après neuf ans ou plus d'ancienneté.

Le jardin le Tourne-Sol ne s'adresse à aucune catégorie sociale en particulier. Il est ancré sur une base d'abord territoriale. Y prime un refus de la ghettoïsation. Décidément orienté vers l'auto-prise en charge, la position qui domine au jardin (bien que d'autres courants de pensée la côtoient) est celle de refuser l'assistanat et la mise à la marge des personnes en difficulté. Les décisions collectives, qui se cristallisent dans les règlements généraux du jardin, illustrent cette position. Par exemple, un règlement qui stipulait que les gens qui ne remplissent pas leur tâche communautaire sont passibles d'une amende a r été modifié pour inclure non seulement le paiement d'une amende mais aussi l'expulsion comme mesure de représailles. L'ancien règlement permettait en effet aux membres bien nantis, en déboursant, de se passer de faire leur part. En plus de créer deux catégories de membres, cette pratique alourdissait la tâche de ceux et celles qui la remplissait comme prévu. Autre exemple : un comité de "compensation monétaire" avait été instauré une année pour permettre aux gens économiquement démunis de "payer " la location de leur terrain en travail plutôt qu'en argent. Jugée discriminatoire par une majorité, cette mesure est disparue l'année suivante. On craignait que cette modalité de paiement ne finisse par créer deux classes de jardiniers : ceux qui peuvent payer, et ceux qui ne peuvent pas payer.

Chaque année, des lopins sont loués par des organismes communautaires du quartier qui Ïuvrent auprès de personnes physiquement handicapées, qui souffrent d'isolement ou encore économiquement démunies. Pour les personnes se déplaçant en chaise roulante, des bacs surélevés ont été installés de manière à leur rendre le travail de la terre accessible. Pour plusieurs, cette expérience est une opportunité d'insertion sociale. Il arrive que des personnes ayant d'abord jardiné sur un lopin loué par un de ces organismes s'adressent personnellement aux responsables de l'inscription pour obtenir un lot à leur nom l'année suivante.

Au jardin, l'ambiance est généralement très amicale. Blagues et taquineries s'y trouvent à profusion. Il se produit néanmoins des accrochages et le règlement est enfreint à l'occasion : telle personne se plaint que les tomates de sa voisine de lot font de l'ombre à ses fleurs, telle autre, ayant fait usage de pesticides de synthèse, est dénoncée et expulsée, les parents de jeunes enfants qui jouent seuls autour de l'étang sont choqués du fait qu'on les avertisse de s'éloigner , etc. Ce serait donc créer une image idyllique et irréelle, comme celle que l'on donne parfois de la petite communauté, que de prétendre que le Tourne-Sol n'est pas traversé par certain s conflits interpersonnels.

Certains membres ne passent au jardin que le temps nécessaire pour s'occuper de leur lopin, tandis que d'autres en font un lieu de socialisation. Certains personnes à la retraite y passent une bonne partie de leur journée pendant l'été. Même si les conversations tournent autour du jardinage et des nouvelles de l'heure, on en profite aussi pour s'informer de la famille, on raconte des blagues, des anecdotes personnelles. Parfois, des amitiés se nouent au jardin. L'opportunité de rencontrer des gens et de s'insérer à des réseaux sociaux constitue d'ailleurs un motif souvent évoqué, après le désir de vouloir jardiner, pour expliquer l'intérêt à devenir membre du jardin.

La plupart des produits du jardin sont consommés par les membres de la maisonnée des jardiniers et jardinières du Tourne-Sol. Toutefois, ceux-ci ont régulièrement des surplus qu'ils offrent à des amis, des parents, des voisins. C'est pour eux un plaisir et une fierté que de faire profiter les autres des fruits de leur jardin. Stéphane et sa conjointe, par exemple, quand ils sont invités chez des amis, passent au Tourne-Sol avant de s'y rendre. Ils s'y présentent avec un bouquet de fleurs de leur jardin. Plusieurs des personnes interrogées ont dit apprécier pouvoir produire des fleurs sur leur lopin. Ramenées à la maison, elles la décorent tout l'été durant. Bien que ce ne soit pas le cas de tout le monde, plusieurs transforment les légumes ou les fines herbes qu'ils n'arrivent pas à consommer frais. On les fait sécher, on en fait des sauces, on blanchit et congèle ou on met en conserve. Les familles à faible revenu voient en outre un avantage économique dans le jardinage.

L'échange et le don sont des phénomènes omniprésents au jardin. On échange régulièrement des plantules et des légumes, mais aussi des connaissances, avec nos voisins de lots. Le savoir technique, acquis par expérience (et avec la lecture d'ouvrages de références, pour certains), se transmet donc petit à petit, de façon informelle, autour de soi. Il peut bien y avoir chaque année de nouveaux membres qui n'ont jamais jardiné, leurs voisins plus expérimentés sont toujours là pour leur prêter main forte. Cet espèce de capital de connaissances théoriques et pragmatiques, réparti dans un grand groupe de personnes, représente de mon point de vue un élément important du succès du Tourne-Sol. Pour ceux et celles qui prodiguent leurs conseils, l'expérience est valorisante. Pour les personnes qui les reçoivent, le fait qu'ils proviennent d'amateurs, somme toute, les situent dans une relation horizontale. Ce n'est pas le cas dans les initiatives qui regroupent un ensemble de personnes n'ayant pas ou peu d'expérience et qui se retrouvent démunis face à des agronomes qui, eux, possèdent la connaissance. La relation est alors de type verticale.

Le jardin le Tourne-Sol dégage beauté et sérénité. Toutes les personnes interrogées s'en montrent fières. Même en reconnaissant que le travail accompli par certains membres qui s'investissent davantage dans l'aménagement du jardin y compte pour beaucoup, tous et toutes considèrent qu'ils ont mis un peu d'eux-mêmes là-dedans. Pas étonnant qu'on m'ait dit faire visiter le jardin aux parents et amis de passage à Québec. Ces derniers, d'ailleurs, ne manquent pas d'apprécier la tranquillité de cet oasis de verdure situé en pleine ville.

Au Tourne-Sol, les lots peuvent être aménagés selon la créativité, les intérêts et les besoins de chacun et chacune. S'il prend à quelqu'un l'envie de cultiver uniquement des fleurs, rien ne l'empêche de le faire. Ce n'est pas le cas dans d'autres programmes municipaux de jardinage, notamment celui de la ville de Montréal.

D'entrée de jeu, le projet était nettement orienté sur la participation des gens du quartier à un projet collectif dont ils s'approprieraient. De plus, les promoteurs initiaux du jardin voulaient qu'il ait des retombées positives non seulement pour ses membres mais aussi sur l'image du quartier. Le résultat est réussi. Les résidants du coin ont une image positive du jardin, dont ils apprécient la présence, même si certains trouvent un peu loufoque le fait de cultiver des légumes au centre-ville. Les commerçants du quartier contribuent volontiers en donnant certains produits qui sont tirés au sort lors de l'épluchette de blé d'inde annuelle. Le vandalisme est un phénomène qui se produit moins souvent qu'aux premières années du jardin.

Que l'on considère la production individuelle, les réalisations collectives ou les opportunités de socialiser, le plaisir est un autre élément omniprésent dans le discours et les pratiques des membres interrogés. Les témoignages qui suivent concernent les motifs évoqués par les personnes interrogées pour expliquer le maintien de leur adhésion au Tourne-Sol. Le plaisir y revient souvent.

Marie-Claire, qui est cuisinière et mère d'un jeune garçon, jardine au Tourne-Sol depuis près de dix ans. Ses yeux brillent alors qu'elle m'expose ses raisons :

Parce que c'est biologique, premièrement, puis deuxièmement le plaisir de voir tes tomates qui sont prêtes, que t'as mises en terre, t'as pris soin, t'as arrosées, t'es venue voir... le jardin, c'est tout un plaisir, tout ce que ça donne. Tu le fais, tu y crois mais quand ça arrive... parce que maintenant je sème mes affaires... mettre la petite graine dans un petit pot chez toi devant ta fenêtre... tu joues, c'est un jeu, tu joues, moi, je fais ça avec mon fils, on joue... Mais quand ça marche, ta laitue grossit, que tu as semée par toi-même, c'est une satisfaction, c'est tellement agréable ce qu'on ressent, c'est tellement... je ne sais pas comment te le dire. C'est excitant.

Louise, une enseignante à la retraite depuis peu, retire une grande satisfaction du fait de contrôler le processus de production de ses légumes :

...c'est tout à fait excitant de pouvoir apporter ses propres tomates, même si on n'en a qu'une douzaine, même si on a des problèmes. C'était s'approprier, dire , ah! c'est ce que j'ai cultivé. C'est sorti de la terre et c'est moi qui l'ai fait pousser.

Pour Sonia, une jeune technicienne en horticulture, le jardinage biologique est un choix de vie. Elle et son conjoint sont végétariens et consomment presque exclusivement des aliments biologiques. Comme ils vivent en appartement, ils n'ont pas de place pour faire un jardin chez eux. C'est pourquoi ils jardinent au Tourne-Sol. Dès sa deuxième année comme membre, Sonia a pris la tête d'un comité.

Stéphane, qui a toujours vécu en ville, identifie plusieurs motifs à la base de son adhésion au Tourne-Sol :

Moi, ce qui m'attire bien gros dans faire pousser mes propres légumes, c'est de faire pousser des légumes qui sont, premièrement, biologiques, donc qui contiennent moins d'eau, plus de fibre, qui sont plus nourrissants, qui sont plus sains, parce que, généralement, un sol qu'on va respecter c'est un sol dans lequel il va y avoir plus de minéraux, donc ça va faire des aliments plus nourrissants. Et puis pour les pesticides aussi, c'est assez impressionnant... ‚a fait que ça, il faut dire, étant donné que j'essaie de bien m'alimenter... je suis pas un maniaque de l'alimentation là mais... mettons que tant qu'à manger des légumes, j'aime autant savoir qu'ils sont en santé. Puis l'idée de les faire pousser, c'était plaisant. Mais il y a aussi l'idée de s'occuper de son petit jardin, c'est un beau passe-temps, s'occuper de son petit jardin... je pense que c'est un peu ça. Il y a le côté sain, une alimentation plus saine, je sais au moins que c'est pas bourré de pesticides, puis que les sols, au jardin Tourne-Sol en particulier, ne sont pas bourrés de pesticides. .. Je trouve que c'est un très beau passe-temps, que d'arriver de travailler puis d'aller voir ses légumes, puis de regarder pousser ça, de leur donner un peu d'eau le matin avant d'aller travailler.

Cet extrait dénote une préoccupation pour une saine alimentation, le plaisir du producteur qui s'approprie le fruit de son travail, la coupure d'avec la routine du travail salarié. Le bonheur, aussi, de s'approprier un espace que l'on peut aménager à sa guise, comme le montre le passage suivant.

...quand je suis arrivé là-bas, puis qu'on m'a présenté le terrain, on m'a comme dit : "bien ça, c'est ta terre, à toi". ‚a, ça m'a fait quelque chose. ‚a m'a fait plaisir, de m'apercevoir que là, il y avait un petit coin de terre à moi, que je pouvais exploiter à ma façon. J'en ai un souvenir ...

Le terrain sur lequel est aménagé le Tourne-Sol a déjà fait l'objet de la convoitise de promoteurs immobiliers. L'allusion à la perte éventuelle de l'accès à ce terrain a provoqué de vives réactions chez mes informateurs et informatrices, qui sont convaincus qu'une résistance serait organisée et appuyée par la population du quartier. D'aucuns seraient prêts à s'y investir de façon active. Comme nous le verrons maintenant, un tel attachement au jardin et au projet collectif qu'il représente s'observe aussi chez les membres du CECEAMI à Miravalle, au Mexique.

3.2 L'écologie sociale à Miravalle

Miravalle est un quartier populaire qui compte une dizaine de milliers d'habitants. Il est juché sur les pentes du volcan Guadalupe, dans la Sierra de Santa Catarina, au sud-est de la ville de Mexico. Quand le temps et le smog le permettent, ses habitants jouissent d'une vue prenante sur la vallée dans laquelle la ville est érigée, d'où l'appellation de Miravalle.

Le peuplement de ce quartier remonte à une quinzaine d'années en arrière. Auparavant, ces terrains de pierre volcanique appartenaient à des paysans qui y cultivaient le nopal. Comme bien d'autres membres des communautés agraires situées à proximité de la grande ville, les paysans des ejidos Los Reyes et Santiago Acahualtepec ont cédé leurs parcelles à des spéculateurs. Ceux-ci les ont loties à leur tour et revendues à des familles en quête d'un bout de terrain où construire une maison et un patrimoine qu'ils laisseraient à leurs enfants. C'est ainsi que Miravalle a vu le jour, sur ce coin de terre aride tout près du ciel.

Comme dans d'autres quartiers populaires de Mexico, le sous-emploi prédomine à Miravalle. La grande majorité des activités rémunératrices de la population se situent dans le secteur informel de l'économie, notamment dans le commerce ambulant et le service domestique. Dès les premières années d'existence du quartier, une organisation indépendante de citoyens, J'tekilaltik (de la langue maya tojolabal, qui signifie "paradis"), fut mise sur pieds par des frères maristes venus s'y installer dans le but de fonder une école primaire. Cette organisation qui s'est impliquée principalement dans des revendications pour l'obtention d'infrastructures urbaines et de services publics dans le quartier s'est plus tard scindée pour donner lieu à l'émergence de différents groupes axés l'un, sur la santé communautaire, l'autre, sur l'éducation populaire et le dernier, sur l'écologie sociale. Ces différents groupes se sont incorporés fin 1994 pour former la Coordination Communautaire Miravalle (COCOMI). Ses principaux objectifs sont la prise en charge de son développement par la collectivité, l'amélioration de la qualité de vie dans le quartier et la transformation des rapports de genre.

Le groupe "d'écologie sociale" de Miravalle compte sept personnes (quatre femmes et trois hommes). L'écologie sociale désigne pour elles un ensemble d'actions visant à améliorer la qualité de l'environnement tout en impliquant et en bénéficiant directement à la population locale. Le groupe fait fonctionner le Centre Communautaire d'Éducation et d'Action Environnementale Miravalle (CECEAMI). Physiquement parlant, il s'agit d'un terrain où l'on trouve une superficie destinée à la production en terre, un centre de lombricompostage, une serre, une salle de réunion et deux réservoirs à eau, dont un est conçu de façon à récolter l'eau de pluie.

Les terrain, d'une superficie de 2500 mètres carrés, est situé aux limites du quartier. Ce terrain devait servir à l'établissement de l'école secondaire des frères maristes. En 1993, à la suite de son expropriation par le gouvernement de la ville de Mexico dans le but de créer la réserve écologique de la Sierra de Santa Catarina, toute construction a été bannie dans ce périmètre. C'est alors que surgit l'idée d'y établir un jardin communautaire organique. Comme il s'agissait d'une activité compatible avec le nouveau zonage, la municipalité donna son autorisation et accepta de prêter le terrain à cette fin. Le jardin fut d'abord dirigé par les frères maristes. La parcelle fut défrichée et cultivée collectivement par les parents des élèves de leur école primaire. On y sema des concombres, des courgettes, des tomates, de la laitue. Le dimanche on faisait des corvées et les personnes présentes pouvaient repartir avec des légumes. Dès sa création en 1994, le CECEAMI le prit en charge de façon autonome. Le terrain fut divisé en parcelles individuelles.

Le CECEAMI est né de la volonté d'un petit groupe d'étudiants en agronomie et en médecine de l'Université autonome métropolitaine à Xochimilco. Deux d'entre eux avaient étudié chez les maristes et connaissaient un de ceux qui s'étaient établis à Miravalle. Pendant leur études de baccalauréat, ils réalisèrent avec d'autres compagnons un travail de recherche sur la problématique des déchets urbains à Miravalle. Ils décidèrent ensuite de s'impliquer dans des actions environnementales qui auraient un impact réel sur le bien-être de la population du quartier. C'est ainsi que suite à la réalisation d'une enquête visant à identifier les perceptions locales en regard des problèmes environnementaux étant considérés les plus graves et les formes d'organisation auxquelles les résidants du quartier seraient prêts à s'associer, le CECEAMI vit le jour.

Depuis, les activités du groupe promoteur de l'écologie sociale se sont diversifiées. Outre l'exploitation de l'espace collectif en parcelles individuelles d'environ 500 mètres carrés, sur lesquelles ils sèment des haricots, des radis, des carottes, des laitues, de la coriandre et des nopales, les membres du groupe ont initié des activités de lombricompostage. La matière première est constituée principalement de déchets verts récupérés des éventaires de légumes du quartier. Préalablement déchiquetés, il sont ensuite déposés dans des bacs en blocs de ciment d'environ 1m X 1 m et qui reposent directement sur le sol. On y ajoute une certaine quantité de vers composteurs qui se chargent d'accélérer le processus naturel de transformation des déchets en un riche humus. Le procédé dure trois ou quatre mois.

Bien qu'il demeure encore peu développé, il existe un marché émergent au Mexique pour le compost. On compte bien pouvoir développer une véritable entreprise d'économie sociale sur la base de cette activité. C'est d'ailleurs dans cet espoir que Don Martin, qui est âgé de 50 ans et survit en menant des activités économiques informelles, a joint le groupe. La vente du compost ne permet pas encore de verser des rétributions fixes aux membres du groupe. Pour le moment, ils ont décidé de créer un fonds mutuel d'assurance où ils pourront emprunter en cas de besoin (maladie, décès dans la famille, etc.).

Les difficultés constantes que rencontre le groupe dans la réalisation de ses activités oblige ses membres à faire des apprentissages au plan politique. Ainsi, sans budget pour payer un camion citerne d'une entreprise privée qui viendrait remplir les réservoirs qu'on a construit au jardin et faisant face à une sécheresse, il faut se rendre devant les bureaux de la mairie pour demander qu'on les appuie en leur faisant un prix pour la livraison d'eau. En outre, le terrain où se situe le jardin et le centre de compostage étant convoité par des spéculateurs qui menacent à tout moment d'y organiser une invasion, il faut rester en alerte pour réagir au besoin.

L'éducation environnementale représente un autre secteur important des activités du CECEAMI. Une des intentions du groupe est d'ailleurs que ses actions produisent un effet multiplicateur dans la communauté. Le savoir technique concernant la fabrication de compost ou l'horticulture biologique une fois acquis, les membres du CECEAMI peuvent agir comme "promoteurs" pour le partager. Des ateliers sont organisés pour les enseignants, les parents et les élèves des écoles maternelles et primaires avoisinantes. On y trouve maintenant de petits jardins organiques.

Une fois par année le CECEAMI organise une journée de sensibilisation à la problématique environnementale. On installe un kiosque d'information, on distribue de l'information écrite, on parle des projets d'expansion du groupe aux résidants du quartier, on leur explique les avantages de la séparation des déchets et de la fabrication de compost domestique. Le CECEAMI participe aussi à d'autres activités régionales de promotion de l'environnement.

Le CECEAMI est une organisation dont le fonctionnement repose sur une structure de pouvoir démocratique. Tous les membres sont éligibles à des postes de direction. Les décisions qui concernent l'ensemble du groupe sont prises par consensus, lors de réunions qui se tiennent soit dans le local situé sur le terrain, soit dans l'arrière boutique du magasin communautaire du quartier. Chaque quinze jours, une réunion a lieu pour faire le point. Au début, on avait formé des comités (éducation et diffusion, jardin communautaire, déchets, gestion et administration)afin que chacun et chacun ait des responsabilités particulières. Étant donné que le groupe demeure restreint et qu'il possède une forte cohésion, les comités n'étaient plus nécessaires. Chaque membre du groupe a des tâches communautaires à remplir à tour de rôle (brassage, tamisage du compost, mise en sac, surveillance du terrain ). On tient souvent des corvées la fin de semaine pour travailler à l'aménagement du terrain. Les résidants du quartier sont invités à y prendre part. Les membres du CECEAMI disent poursuivre la tradition du tequio originaire de la province de Oaxaca. Ce genre de corvée existait dans les communautés indiennes du Mexique à l'époque préhispanique.

Le CECEAMI ne possède pas de règlement écrit comme celui que l'on trouve, par exemple, au Tourne-Sol. C'est au niveau de la COCOMI que se fait la gestion écrite, et c'est par elle que passe la gestion des subventions. Un ou une représentante du groupe d'écologie sociale siège d'ailleurs à l'assemblée de la COCOMI. Au moment de réaliser mon enquête de terrain, l'ensemble de la COCOMI était dans un processus de planification stratégique. Conseillés par des spécialistes du développement organisationnel rattachés à une ONG régionale, les représentants des différents groupes qui composent la COCOMI s'adonnaient à un exercice de rédaction de la mission, des objectifs et des stratégies à privilégier. Le tout devait mener à l'élaboration d'un document guide. Cette institutionnalisation représentait sans aucun doute une étape nécessaire à l'obtention de subventions de la part d'organismes qui exigent des documents très formalisés. Jusqu'à présent, le CECEAMI a bénéficié de subventions d'une fondation privée mexicaine qui appuie le développement local (DEMOS) et de l'Ambassade du Canada.

Le CECEAMI réalise certaines activités en coordination avec les autres composantes de la COCOMI. Par exemple, ses membres ont organisé, conjointement avec la composante "éducation", qui s'investit surtout dans l'alphabétisation des adultes, des sessions de formation en horticulture pour jeunes décrocheurs. Ils enseignent aux membres de la clinique communautaire de santé à reconnaître les plantes ayant des propriétés curatives, tandis que ces derniers leur montrent comment les transformer en produits médicinaux. Avec les femmes du magasin communautaire, ils partagent les connaissances acquises sur les bienfaits de certaines denrées peu valorisées sur le marché (comme le soya et l'amarante), lesquelles apparaissent ensuite sur le comptoir du magasin, qui favorise les produits alternatifs.

Il est difficile d'évaluer ce que représente le jardin communautaire de Miravalle en termes de production. Aucune donnée n'est compilée à cet effet. Celle-ci est peut-être ce qui est le moins significatif dans cette initiative.

Don Martin, qui investit depuis trois ans dans la culture des nopales, attendant qu'ils aient atteint leur maturité avant de commencer à les exploiter (il ne sème aucun légume sur sa parcelle), les a vu partir en fumée lors d'un incendie déclenché par des jeunes du quartier en mai 1998. L'un des fils de sa compagne Margarita y a été brûlé au troisième degré à la jambe gauche.

Margarita est originaire du milieu rural. Il y a quelques années, elle était analphabète et souffrait d'un bégaiement important. Mariée contre son gré à un homme ayant deux fois son âge pour payer une dette de son père, elle s'était séparée et vivait avec un nouveau conjoint en arrivant à Miravalle. Elle s'est inscrite au cours pour adultes et y a rencontré Carlos, l'actuel conseiller technique de la CECEAMI. Elle s'est jointe à la CECEAMI parce qu'elle désirait apprendre la fabrication de médicaments à base de plantes. Elle n'avait aucune connaissance en horticulture. Aujourd'hui, malgré un léger bégaiement qui subsiste, elle prend plaisir à enseigner aux jeunes enfants et à leurs parents comment on peut faire un jardin dans un espace réduit, quels feuillages et quelles fleurs sont comestibles, quelles sont les propriété curatives de telle ou telle plante. Quand elle récolte de la coriandre ou des haricots, Margarita en garde une partie pour la consommation familiale et en vend aux voisins et voisines qui lui en font la demande.

En plus d'Ïuvrer comme promoteure, elle est aussi une membre active du magasin communautaire. Comme les autres femmes qui s'y investissent, elle travaille six jours par semaine au comptoir de ce magasin entièrement géré par le groupe. Sans but lucratif, celui-ci offre des prix plus avantageux que les établissements commerciaux. La coordonnatrice, choisie parmi les membres, est remplacée chaque mois. C'est dire que toutes doivent, à tour de rôle, remplir cette tâche. Ces femmes ne reçoivent aucun salaire pour leur travail. A la fin de chaque mois, elles se répartissent un "panier" de produits d'une valeur de 40 pesos, soit environ 7 dollars. Cela semble peu. Mais pour ces femmes, se rendre utiles, s'impliquer, aider la communauté, partager leurs temps avec d'autres femmes avec lesquelles elles disent former une famille, a beaucoup plus de valeur qu'un panier mensuel de victuailles.

Sa participation à ces activités communautaires n'est pas sans lui avoir causé de problèmes. La famille de son conjoint trouve qu'elle perd son temps à travailler sans gagner d'argent et le lui fait savoir fréquemment. Son conjoint est jaloux. Il trouve qu'elle n'est pas assez souvent à la maison . Pour Margarita, qui a coupé les ponts avec sa famille d'origine, les membres du CECEAMI et les femmes du magasin communautaire constituent sa nouvelle famille. Pour rien au monde, elle n'abandonnerait ses activités communautaires, car elle y trouve de nombreux bénéfices.

...J'aime travailler, j'aime participer, j'aime sortir dans le quartier, dans la communauté. Ils peuvent me frapper s'ils le veulent, je ne vais pas arrêter...Je ne participe pas par intérêt, mais parce que j'aime travailler, participer, apprendre... Avant, je ne savais pas parler correctement, j'étais gênée de parler à des gens qui n'étaient pas de ma famille. Ce n'est plus le cas... je me suis développée comme personne, j'ai appris des choses dont je ne soupçonnais même pas l'existence.

Ce genre de retombées sont rarement prises en compte par les organisations subventionnaires de projets en agriculture urbaine. Pourtant, dans le cas de Miravalle, les impacts de la CECEAMI sur la reconnaissance sociale sont frappants. Comment en effet être un citoyen, une citoyenne à part entière si le poids de la tradition et l'idéologie de genre vous empêche de vous considérer comme une personne entière?

Le CECEAMI représente aussi une source importante d'apprentissage ou d'expression de solidarité pour ses membres. Carmen, par exemple, a décidé de s'incorporer au groupe d'écologie sociale après avoir été gravement malade. Après sa guérison, elle a senti le besoin de faire quelque chose, non seulement pour elle, mais aussi pour les autres. Elle avait bien songé à la possibilité de s'ouvrir un petit commerce, mais elle considérait que cela ne lui procurerait que des bénéfices personnels. Sa fille, qui étudiait à l'école des frères maristes, lui avait parlé des initiatives communautaires et, notamment,du groupe d'écologie sociale. Elle jugea que c'était un bon moyen de réaliser ses nouvelles ambitions humanistes. Après seulement quelques mois de participation, elle est devenue promoteure et représentante du CECEAMI à la COCOMI. Elle est fière de ses nouvelles fonctions. Elle se sent enfin utile, dit-elle.

À travers les luttes menées, au fil des ans, dans le cadre du mouvements populaire urbain, les habitants de Miravalle ont acquis une importante expérience politique. Des solidarités additionnelles se sont développées au sein des groupes qui forment la COCOMI. Si, demain, la municipalité voulait reprendre le terrain du CECEAMI, on tenterait par tous les moyens de l'en empêcher. Ses membres considèrent que trop d'efforts collectifs seraient anéantis.

Les impacts sociaux de l'existence du groupe d'écologie sociale à Miravalle sont multiples et concernent aussi bien la collectivité que les individus : reconnaissance sociale des participants dans leur famille et la communauté; affirmation et fierté accrue, chez les femmes, du travail qu'elles réalisent, qu'il soit ou non rémunéré; transformation des relations de genre; formation de leaders; responsabilisation sociale des participants, qui deviennent des acteurs de changement dans leur milieu et prise en charge accrue aux plans individuel et collectif.

4. Discussion

Chacune des expériences décrites précédemment est unique. Toutefois, au-delà des différences qui les marquent, il est possible d'en tirer des leçons à l'aide d'une réflexion portant sur leur contribution à chacune des dimensions de la citoyenneté évoquées dans l'introduction de ce texte. Ainsi, bien que toutes ces expériences favorisent d'une façon ou d'une autre la citoyenneté dans sa dimension sociale, il n'en va pas de même pour ses deux autres dimensions.

A ce titre, l'intervention de l'ONG Luna Nueva, à Tepoztlan, a une contribution qui ne déborde guère la dimension sociale de la citoyenneté. Le jardin Le Héron, à Saint-Hubert, ouvre pour sa part sur la citoyenneté sociale et solidaire mais peu sur la citoyenneté active. Enfin, dans les expériences du groupe d'écologie sociale de Miravalle et du jardin le Tourne-Sol, à Québec, on perçoit aisément l'expression des trois dimensions de la citoyenneté.

Le projet de jardinets domestiques de Tepoztlan semble avoir suscité un grand intérêt chez les personnes marginales ou marginalisées. Ainsi, on m'a rapporté que des enfants intellectuellement handicapés s'étaient fortement enthousiasmés et avaient, de leur propre chef, pris le potager en charge. Cela s'est produit non seulement dans le chef-lieu, mais également dans les villages de la municipalité où des jardinets ont été aménagés.

L'activité de jardinage implique un investissement continu de la part du ou de la jardinière. Elle offre en retour un terrain fertile à l'expression de la créativité et le sentiment d'une responsabilité assumée envers les plants, qui sont vivants et, en plus, nourriciers . Elle semble bien constituer une source de plaisir et d'affirmation pour des personnes autrement exclues de projets personnels ou collectifs porteurs de sens.

J'ai pu déceler un autre indice de ce potentiel du jardinage dans un projet de promotion de la production domestique de légumes biologiques réalisé dans la ville de Mexico. Le coordonnateur du projet a remarqué que ce sont souvent des femmes âgées qui prennent en charge le potager. Dans certains cas, elles reprennent du même coup le contrôle de la cuisine. La cuisine est un espace qui représentait le principal lieu d'activités pour ces femmes et celui qui les définissait socialement. Elle est en outre empreinte d'un fort symbolisme lié à la préparation et à la consommation de la nourriture. Elle fait souvent l'objet de luttes de pouvoir entre les femmes de différentes générations qui partagent un même logis, particulièrement entre belles-mères et brues .

Nous avons vu plus haut qu'à Tepoztlan, les légumes produits sur les potagers domestiques entrent dans une chaîne informelle de distribution entre maisonnées apparentées mais qu'ils ne la débordent pas. On ne peut donc considérer ce genre de don comme un acte libre de toute contrainte réalisé dans le but de constituer un lien social, comme il s'avérerait plausible dans une société où l'individualisme prime sur la famille ou la communauté (Charbonneau, 1998). Ce lien existe déjà. Au Mexique, la famille constitue le principal creuset du lien social. Si elle est, d'une part, source de support et d'entraide, elle comporte d'autre part de nombreuses obligations, auxquelles on peut associer celle de partager les produits de son jardin. A mon sens, l'association du potager à une tâche domestique, qui revient d'abord aux femmes, et particulièrement aux mères, dans l'idéologie des genres, en est peut-être l'explication, car on considère que ces dernières se doivent de tout donner à leurs enfants. Ainsi, à Tepoztlan, le don de légumes s'insère tout "naturellement" dans les rapports sociaux en place, dont les rapports sociaux de genre, qu'il contribue à réifier.

La population du chef-lieu de Tepoztlan est extrêmement politisée, comme en fait foi la résistance qu'elle a montré dans l'histoire du Club de Golf. Pourtant, le travail d'implantation des jardinets s'est construit dans un vacuum politique. Étant donné l'importance du conflit social dans la municipalité, il aurait peut-être en effet été hasardeux (pour l'obtention de financement) de faire autrement. En tout état de cause, l'organisation promotrice du projet, c'est-à-dire l'ONG Luna Nueva, l'a ciblé essentiellement sur la problématique alimentaire et a identifié comme principaux bénéficiaires les femmes et les jeunes enfants, qui représentent des populations "à risque" en termes d'insécurité alimentaire. Ces derniers sont ainsi devenus l'objet d'une intervention basée sur une approche de type épidémiologique subventionnée directement par Kellogg's, un géant de l'alimentation sur un marché international qui représente des milliards de dollars. Dans ce contexte, l'auto-production de légumes sur l'espace domestique peut difficilement donner lieu à des dynamiques porteuses de changement social. Le rôle des femmes dans la production et la reproduction s'y trouve, lui aussi, réifié. Les femmes peuvent s'adonner au jardinage tout en demeurant dans l'espace qui leur est socialement assigné. Elles n'ont pas besoin d'entrer en contact les unes avec les autres. Enfin, elles demeurent dépendantes de l'intervention d'une tierce personne, qui possède le savoir technique et les intrants nécessaires à la pratique de l'"auto-production", qui n'en n'est plus vraiment. Dans ce cas, les jardins deviennent plus des mesures d'assistance qu'une source de réel changement dans la situation des intéressées (Labrecque, 1997).

Aussi, bien que le projet de production horticole domestique de Luna Nueva donne lieu à l'affirmation de personnes faisant partie de groupes sociaux partiellement exclus de la vie sociale, économique et politique (personnes handicapées et femmes), il ne permet l'expression ou l'émergence ni d'une citoyenneté solidaire, ni d'une citoyenneté active, allant même jusqu'à nier l'existence de cette dernière dans le chef-lieu de la municipalité.

Résultant lui aussi de l'intervention d'une ONG, le jardin le Héron de Saint-Hubert est devenu le projet d'un des organismes communautaires ayant participé au projet-pilote. Ce jardin a également contribué à la reconnaissance sociale des personnes qui y ont pris part. Pour celles impliquées dans des cuisines collectives, la plupart sans emploi, souffrant, souvent, d'isolement, leur implication dans une activité productive réalisée en groupe leur a permis d'établir de resserrer davantage les liens sociaux établis lors des cuisines collectives. En outre, pour les jardiniers et jardinières rémunérés comme pour les bénévoles, leur contribution à la production de légumes biologiques, un bien relativement rare et qui possède une forte valeur sur le marché, a représenté une source de fierté. Le jardinage a ainsi permis de se mettre en valeur et d'améliorer leur estime de soi. Enfin, les légumes étant en partie destinés à la cuisine collective, qui profite à de nombreuses familles, participer à leur production, leur récolte ou leur transformation a contribué à un sentiment d'utilité, une autre façon de renforcer la citoyenneté sociale.

La formule adoptée dans ce projet de jardin collectif relève de l'économie sociale, voire de l'économie solidaire. En effet, elle en possède tous les attributs. Favreau (1997:10) signale que l'économie sociale constitue un ensemble d'entreprises dont la finalité, contrairement aux entreprises capitalistes, n'est pas de produire des surplus mais plutôt d'offrir des biens et des services d'intérêt collectif. Les objectifs des entreprises de l'économie solidaire, plus spécifiquement, concernent avant tout le renforcement de la cohésion sociale et la création d'emplois (Lévesque, Bourque et Forgues,1997). Adoptant une structure associative, ces entreprises solidaires dépendent d'une mobilisation volontaire.

Suivant les propos de Laville (1995) au sujet de l'économie solidaire, mentionnons que le jardin le Héron a été le produit de la "construction conjointe de l'offre et de la demande", c'est-à-dire que les usagers et usagères, dans ce cas les groupes communautaires, ont été consultés et ont participé à la définition même du projet. Le jardin collectif représente aussi une combinaison de formes plurielles d'économie, soit des formes marchande (en amont de la production, achat d'équipement, de semences, d'outils sur le marché et en aval, vente de marinades produites à la cuisine collective), non-marchande (financement par le biais de subventions gouvernementales) et non-monétaire (auto-consommation familiale et communautaire) et d'activité (travail salarié, bénévole, auto-production, dons).

Il s'agit, de plus, d'une initiative locale qui met en scène une myriade d'acteurs régionaux et locaux (MRC, société de développement, municipalité, groupes communautaires) et se déroule dans un espace public (concrètement parlant, le terrain; analytiquement parlant, le champ constitué par la production de légumes biologiques pour et par la collectivité). Le jardin a projeté sur la scène publique une problématique qui semble relever de la sphère privée, soit l'approvisionnement et la transformation des aliments qui sont consommés au sein des ménages, les convertissant, du moins potentiellement, en objet de débats politiques (par exemple, la remise en cause du pouvoir des multinationales du secteur agro-alimentaire sur les options disponibles pour les consommateurs ou l'accès gratuit à des terrains municipaux pour réaliser une activité de production qui bénéficie à la population locale). Une analyse semblable pourrait être faite au sujet du CECEAMI et du Tourne-Sol.

Au-delà des ces remarques concernant le modèle en jeu, il faut toutefois souligner que dans les faits, la participation des bénévoles des cuisines au processus de planification et de gestion du jardin demeurent minimes et l'identité collective peu développée. La coresponsabilité entre jardiniers et jardinières n'a guère été favorisée du fait qu'une partie d'entre eux (les "gens de CDARS") était considérée comme une main-d'Ïuvre salariée assurant la permanence sur le terrain tandis que les bénévoles de la Bouffe du Carrefour ne s'engageaient à s'y présenter qu'une demi-journée par semaine. De plus, en cas d'absence de ces dernières, aucune mesure de représailles n'était prise. Agissant à titre de "bénévoles" dans un cadre "communautaire", donc sur une base totalement volontaire, les efforts fournis n'étaient pas nécessairement constants. De toute évidence, les notions de "communautaire" et de "bénévolat" n'ont pas la même résonance partout. Au Tourne-Sol, par exemple, comme nous l'avons vu, l'adhésion est également volontaire et la participation bénévole, mais elle implique dès le départ une sorte de contrat social, un engagement à respecter les règles qui ont été fixées par le collectif des membres. Il s'agit là à mon avis d'une façon efficace de générer "l'auto-prise en charge" dont tous les jardins étudiés se font les promoteurs, mais que tous ne favorisent pas au même degré dans les faits.

Constituant au point de départ une structure favorisant l'entraide et la solidarité entre ses membres, la cuisine collective de Saint-Hubert en est venue à développer des activités économiques visant à lui procurer une part de ses revenus, dans le but d'en arriver à une dépendance financière moins grande face au gouvernement, tout en créant des emplois. Le projet de transformer le jardin en entreprise d'insertion s'inscrit dans cette visée .

Toutefois, l'on ne saurait parler d'une véritable appropriation d'un projet collectif par les membres de la cuisine collective de Saint-Hubert. Cela semble pourtant être le cas à Miravalle et à Québec. Les initiatives du groupe d'écologie sociale et du jardin communautaire le Tourne-Sol m'apparaissent comme porteuses de dynamiques qui favorisent à la fois la citoyenneté sociale, la citoyenneté solidaire et la citoyenneté active. Elles partagent d'ailleurs plusieurs caractéristiques. J'en ai dégagé six principales.

Premièrement, et malgré les particularités de chaque cas, les rapports fonciers urbains en vigueur au Mexique et au Québec font des terrains où se déroule les activités de jardinage du CECEAMI et du Tourne-Sol des espaces conflictuels qui font l'objet de luttes constantes pour leur appropriation. Les deux sont situés en pleine zone urbaine, au cÏur de quartiers densément peuplés.

Miravalle est un quartier qui s'est érigé dans une zone agricole, en-dehors des cadres légaux qui régissent l'occupation du sol pour un usage urbain. La situation est en voie de régularisation mais seulement une partie des habitants de la zone sont les propriétaires légitimes des terrains qu'ils habitent. En outre, le sous-emploi de la majorité de la population urbaine dans des activités informelles la rend incapable de payer la rente d'un logement décent, encore moins à acquérir une propriété selon les filières formelles, l'offre de logements sociaux étant par ailleurs largement insuffisante. Cette situation exerce une pression énorme sur le sol non construit, même si celui-ci se situe dans une réserve écologique. Le terrain prêté par les autorités municipales est ainsi convoité, d'une part, par des groupes de familles pauvres qui cherchent un terrain à bâtir et, d'autre part, par des spéculateurs qui recherchent des terres non urbanisées se situant dans un périmètre où il existe une demande réelle ou potentielle pour des terre à bâtir. Il est déjà encerclé par des zones d'habitat illégales, en pleine réserve écologique.

Dans ce contexte, conserver la possession d'un terrain urbain où ont lieu des activités de production horticole représente un défi majeur pour les membres du groupe d'écologie sociale. Le développement d'une conscience environnementale et l'appui solidaire des autres habitants du quartier pour conserver cette zone verte deviennent des éléments clés pour lutter contre les pressions existantes. Comme il a été démontré , la législation foncière, à elle seule, ne garantit pas la possession réelle des terres au Mexique. Il est en ainsi en milieu rural comme en milieu urbain. Pas étonnant que les membres du groupe d'écologie sociale s'empressent de signaler aux autorités municipales les tentatives renouvelées d'invasions de la réserve écologique pour en déloger les nouveaux occupants avant qu'ils ne se soient établis dans des maisons en dur et, une certaine période passée, aient acquis des droits fonciers par l'usage. Paradoxalement, la population de Miravalle a elle-même procédé de la sorte pour accéder à un lot sur la montagne.

Du côté du Tourne-Sol, même si le terrain sur lequel le jardin est aménagé est soumis à un bail de location triennal, rien ne garantit que l'organisation pourra le reconduire indéfiniment. Situé au cÏur de la ville, comme à Miravalle, il fait la convoitise de certains promoteurs immobiliers qui voudraient bien y voir s'ériger des édifices à logement ou des commerces. Bien sûr, les Augustines sont sympathiques à la présence du jardin devant l'hôpital. Mais les besoins financiers de la communauté risquent, un jour - du moins c'est ce qu'opinent les membres du jardin - de les obliger de s'en départir. La menace de la perte du terrain est donc omniprésente.

La situation est différente pour le Héron, situé en-dehors de la zone d'habitat urbain de Saint-Hubert. Il existe en outre peu de pression sur ce sol zoné haute technologie.

En deuxième lieu, dans les quartiers Miravalle à Mexico et Saint-Sauveur à Québec, les projets de jardins communautaires ont misé dès leur conception sur une participation réelle des membres aux processus décisionnels. C'est pourquoi les structures démocratiques prévues à cette fin sont effectivement aux mains des membres, qui sont considérés comme des acteurs à part entière au sein du collectif et non comme des bénéficiaires des activités de l'organisme. Ce n'est pas le cas dans les deux autres projets étudiés.

Dans le même ordre d'idée, la participation constante et responsable des membres est considérée comme essentielle pour l'atteinte des objectifs et c'est ainsi que ces derniers la perçoivent. L'organisation du travail est d'ailleurs structurée de façon à faire participer tout le monde et à faire saisir l'importance de l'apport de chacun et chacune au bon fonctionnement de l'organisation et à la pérennité de ses activités. Ce mode de fonctionnement favorise aussi fortement la solidarité entre les membres. A ce titre, le contraste avec les expériences de Tepoztlan et de Saint-Hubert est frappant.

Quatrièmement, les terrains gérés par le CECAMI et le Tourne-Sol comptent des espaces communautaires où se déroulent des activités collectives mais aussi des espaces individuels où les membres s'activent de façon autonome tout en pouvant recourir au besoin à l'aide et aux conseils de leurs pairs. Sur ces lopins, les jardiniers et jardinières expriment leur créativité, expérimentent en fonction de leurs intérêts et leurs habiletés personnels, développent leur identité personnelle. Par ailleurs, ils sont unis aux autres dans un projet commun qui surpasse leurs projets individuels. La combinaison semble probante. A Tepoztlan, l'espace collectif est absent. A Saint-Hubert, c'est l'espace individuel qui fait défaut.

Ainsi, on remarque qu'à Miravalle, certains membres du CECEAMI sèment une variété de légumineuses et de légumes sur leur parcelle tandis que d'autres, conne Don Martin, choisissent une monoculture. Par contre, tous doivent participer aux travaux communautaires afin de mener à bien le projet collectif. Il en va de même au Tourne-Sol. Chaque membre cultive ce qu'il ou elle désire sur son lopin. Par contre, tout le monde est tenu d'assumer sa tâche au sein du comité auquel il ou elle est rattaché. Dans un jardin collectif comme le Héron, la possibilité de s'investir dans une activité en partie autonome n'existe pas. Les bénévoles remplissent les tâches qui leur sont assignées. Personne n'a de coin à soi, ni les bénévoles, ni les personnes en insertion. Notons, à cet égard, que dans un autre jardin collectif du Québec, en l'absence (qui dura quelques jours) de la coordonnatrice, des jeunes qui travaillaient au jardin dans le cadre du programme Service jeunesse Canada se sont immédiatement appropriés une surface inoccupée pour y créer un aménagement personnalisé. A Tepoztlan, les semences étant fournies par Luna Nueva, les jardiniers et jardinières en herbe ont peu de choix quant aux espèces à cultiver, même si en théorie, sur un potager domestique, il existe une grande marge de liberté et place pour la créativité.

En cinquième lieu, on trouve au sein du CECEAMI et du Tourne-Sol des leaders qui se sont fortement impliqués dès le départ et qui possèdent un savoir technique important en regard des activités de production. Ces leaders ne sont toutefois pas demeurés les seuls dépositaires de ce savoir, qui est transmis aux membres du groupe, ces derniers le transmettant ensuite à leur tour aux nouveaux venus et à l'extérieur de l'organisation. Autre fait important, ces leaders sont des membres du groupe au même titre que les autres. Ils ne sont pas des intervenants extérieurs qui viennent et repartent une fois leur tâche accomplie, comme c'est le cas pour les agronomes formateurs à Tepoztlan et à Saint-Hubert.

Enfin, les caractéristiques organisationnelles et institutionnelles des initiatives du CECEAMI et au Tourne-Sol donnent lieu à une véritable appropriation d'un projet collectif par les membres du groupe. Ceux-ci se sentent partie prenante d'une organisation porteuse d'un projet productif mais aussi social. Ils sentent de plus que leur participation fait une différence. Ils ont développé une identité collective. L'indice le plus frappant de la présence d'une telle identité est sans aucun doute la résistance collective immédiatement anticipée, lors des entretiens réalisés, lorsque j'évoquais la menace de la perte d'accès au terrain occupé par le groupe. "Ce serait trop dommage, après y avoir tant investi", "On ne laisserait pas faire ça", "Un comité de défense s'organiserait immédiatement, et j'en serais", "Ce n'est pas possible, il y a bien trop de travail de mis là-dedans, pas seulement par moi, mais par tous les autres qui y sont passés aussi" était le genre de commentaires que cette possibilité provoquait.

L'identification à un projet commun, dont tous et toutes sont partie prenante et coresponsables, mais qui permet néanmoins l'expression de l'individualité, semble donc constituer une pièce maîtresse des initiatives de jardins qui mettent en présence des citoyennes et des citoyens ayant une existence sociale, liés par des liens solidaires et actifs sur la scène locale.

Conclusion

L'hypothèse générale qui a guidé cette recherche voulait que des cas étudiés, les jardins créés dans le but de contribuer à la sécurité alimentaire de populations cibles se situent dans une économie sociale palliative et que seuls ceux issus d'une volonté de développement social local aient la capacité de favoriser l'expression d'une citoyenneté active. Les résultats de cette étude de cas comparative semblent la confirmer. Cependant, ces résultats ne tiennent pas à mon avis à la seule présence d'une préoccupation pour la sécurité alimentaire, mais plutôt à la manière dont les organisations qui s'y intéressent, guidées par une lecture sectorielle du développement, ont l'habitude de stigmatiser et de "ghettoïser" les populations qui sont particulièrement concernées par cette question. Ainsi, ce serait davantage la conception du rôle des acteurs sociaux impliqués dans les projets de jardins qui déterminerait leur potentiel en regard de la citoyenneté active que la seule mission énoncée.

La popularité de la notion de participation citoyenne et de celles d'auto-prise en charge et de coresponsabilité qui l'accompagnent, à l'heure de l'apparent triomphe du néolibéralisme, oblige à discerner le discours des rapports sociaux dans lesquels s'inscrivent les interventions réalisées au nom du développement. Car la participation citoyenne à des initiatives structurantes peut, dans certaines conditions, contribuer au changement social.

Par ailleurs, le rôle des ONG régionales dans le développement social local ne peut être considéré comme s'inscrivant nécessairement dans une démarche "par le bas ". Ces dernières sont perméables aux enjeux politiques et leur action est souvent dépendante des orientations des organisations qui constituent leurs sources de financement. Cette situation a été illustrée par le cas de l'intervention de Luna Nueva à Tepoztlan.

Les résultats de cette recherche pourraient contribuer à guider la mise en place de conditions favorisant l'émergence, au Québec, au Mexique, ou ailleurs, d'initiatives d'agriculture urbaine qui ne soient pas des mesures d'assistance déguisées. Cela devient d'autant plus pertinent que les organisations locales, régionales, nationales et transnationales impliquées dans la lutte contre l'insécurité alimentaire voient de plus en plus l'auto-production comme une alternative intéressante à l'aide alimentaire et une stratégie de lutte contre la pauvreté et que les initiatives d'agriculture urbaine implantées "par le haut" et "par le bas" vont en augmentant. Références citées

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